Cour d’appel administrative de Douai, le 14 février 2025, n°23DA01627

Par un arrêt en date du 14 février 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus d’autorisation environnementale pour un projet de parc éolien. Cette décision met en balance les impératifs de la protection des paysages et du patrimoine avec les objectifs de développement des énergies renouvelables.

En l’espèce, une société exploitante avait sollicité, le 21 décembre 2021, une autorisation pour implanter un parc de quatre éoliennes d’une hauteur de 178 mètres et deux postes de livraison sur le territoire d’une commune. Par un arrêté du 24 juillet 2023, le préfet a rejeté cette demande, en se fondant principalement sur l’atteinte que le projet portait à la protection de la nature, de l’environnement et des paysages. La société a alors saisi la cour administrative d’appel d’un recours visant à l’annulation de cet arrêté et à l’obtention de l’autorisation sollicitée. Elle soutenait notamment que sa décision était entachée d’incompétence, d’une motivation insuffisante et d’une erreur d’appréciation quant à l’impact du projet sur le paysage, le patrimoine et la faune. Le représentant de l’État, rejoint par une association de défense des sites et des riverains, a conclu au rejet de la requête, arguant que les inconvénients du projet pour le paysage étaient excessifs et justifiaient le refus. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si un projet éolien, en raison de son impact visuel sur un paysage jugé remarquable et sur des monuments historiques avoisinants, pouvait légalement se voir refuser une autorisation environnementale au titre de l’atteinte excessive portée à l’intérêt protégé de la conservation des sites et des paysages.

La cour administrative d’appel répond par l’affirmative et rejette la requête de la société. Elle juge que c’est « sans erreur de fait, de droit et d’appréciation que le préfet du Pas-de-Calais a pu estimer que le projet de la société Eoliennes des Magnolias porte une atteinte excessive à la protection des paysages ». Cette solution, qui valide le refus préfectoral sur ce seul fondement, confirme la prépondérance qui peut être accordée à la protection paysagère dans le contrôle des projets d’aménagement (I), tout en posant la question de la portée de cette appréciation face aux enjeux de la transition énergétique (II).

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I. La consécration de l’atteinte au paysage comme motif suffisant de refus

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse détaillée de l’atteinte paysagère, qu’elle juge à la fois excessive (A) et suffisante pour justifier à elle seule le rejet de la requête, sans examiner les autres moyens soulevés (B).

A. La caractérisation d’une atteinte excessive à un paysage remarquable

L’arrêt procède à une description minutieuse du site d’implantation, qualifié de secteur des « ondulations montreuilloises ». Le juge administratif relève que ces paysages, bien que « ne faisant pas en eux-mêmes l’objet d’une mesure de classement ou de protection formelle », sont reconnus comme étant « emblématiques » et « remarquables », y compris dans l’étude d’impact fournie par le pétitionnaire. Il souligne que ce secteur est préservé de toute activité éolienne et constitue l’écrin naturel d’un patrimoine dense, comprenant notamment quatre-vingts monuments historiques et douze sites classés. Le projet, par sa hauteur et sa localisation, créerait « des effets de surplomb et d’écrasement qui demeureront substantiels » sur les villages et les vallées environnantes.

Plus encore, la cour constate que le projet inscrirait « dans ce paysage rural préservé, une occupation industrielle rompant avec les occupations traditionnelles et dominantes du secteur ». Cet élément industriel entrerait « en concurrence avec ses deux émergences patrimoniales typiques et emblématiques », à savoir la citadelle de Montreuil-sur-Mer et la Chartreuse de Neuville. C’est donc la rupture d’harmonie et la dénaturation d’un paysage à haute valeur culturelle et visuelle qui fondent la qualification d’atteinte excessive. L’appréciation ne porte pas seulement sur les vues directes, mais sur la cohérence d’un ensemble paysager et patrimonial que le projet viendrait altérer de manière significative.

B. Une application décisive de l’économie des moyens

Après avoir solidement établi que le motif tiré de l’atteinte aux paysages était fondé, la cour applique le principe de l’économie des moyens pour écarter toute autre discussion. Elle considère en effet que « le préfet du Pas-de-Calais aurait pris la même décision s’il s’était fondé uniquement sur le motif tiré de l’atteinte à la protection des paysages ». Par conséquent, le juge décide qu’il n’est « pas besoin de statuer sur les moyens d’erreur de fait, de droit et d’appréciation dirigés par la société Eoliennes des Magnolias contre le second motif opposé par la préfet ni sur la demande de substitution de motif présentée en défense ».

Cette approche procédurale n’est pas neutre sur le fond. Elle confère au motif paysager une force particulière, le considérant comme étant non seulement légal, mais également déterminant et suffisant. En refusant d’examiner les arguments relatifs à l’avifaune ou à la commodité du voisinage, la cour affirme implicitement que l’atteinte au paysage constitue un vice d’une gravité telle qu’il rend inutile l’analyse des autres aspects du projet. La protection du paysage n’est plus un critère parmi d’autres, mais peut devenir, dans des circonstances particulières, l’alpha et l’oméga du contrôle de légalité.

En validant le refus sur ce seul fondement, la cour administrative d’appel rend une décision dont la portée doit être évaluée au regard de la conciliation des intérêts en présence.

II. La portée de l’appréciation paysagère face aux enjeux de la transition énergétique

L’arrêt illustre le pouvoir d’appréciation souverain du juge dans la balance des intérêts (A) et constitue un avertissement pour les porteurs de projets d’énergies renouvelables quant à l’importance de l’intégration paysagère (B).

A. La valeur d’une appréciation souveraine des juges du fond

La décision commentée repose sur une appréciation qui, bien que s’appuyant sur des éléments de dossier, comporte une part qualitative importante. Les termes « emblématiques », « remarquable », « effets de surplomb et d’écrasement » ou encore « concurrence » avec le patrimoine ne relèvent pas d’une mesure purement objective, mais d’un jugement de valeur porté par l’administration et confirmé par le juge. En validant cette approche, la cour réaffirme la plénitude de son contrôle sur la qualification juridique des faits et l’appréciation des inconvénients d’un projet au regard de l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

Le juge ne se contente pas d’enregistrer les conclusions des études techniques ; il se forge sa propre conviction en considérant la nature des lieux, leur histoire et leur perception. Il est d’ailleurs significatif que l’arrêt prenne soin de mentionner que l’architecte des bâtiments de France et la direction départementale des territoires et de la mer avaient émis des avis défavorables « pour des motifs similaires ». Cette convergence conforte la légitimité de l’appréciation et démontre que le refus n’est pas le fruit d’une position isolée, mais d’une analyse partagée par les services chargés de la protection du cadre de vie. La décision consacre ainsi une forme de souveraineté du juge dans l’appréciation de l’esthétique paysagère comme composante du droit de l’environnement.

B. La portée de la décision pour les futurs projets d’énergies renouvelables

En confirmant qu’une atteinte à un paysage, même non classé, peut justifier le refus d’un parc éolien, cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence qui accorde une importance croissante à la qualité du cadre de vie. Si la solution est une décision d’espèce, liée à la qualité exceptionnelle du site concerné, sa portée est plus générale. Elle rappelle aux développeurs que la compatibilité d’un projet avec son environnement ne se mesure pas uniquement à l’aune d’impacts quantifiables, comme le risque avifaune, mais aussi au travers de son insertion visuelle et de son respect des héritages culturels et paysagers.

Cette jurisprudence met en lumière la tension inhérente au droit de l’environnement, qui doit à la fois promouvoir les énergies renouvelables pour lutter contre le changement climatique et préserver les espaces et le patrimoine. La décision indique que les objectifs nationaux de développement de l’éolien ne sauraient conduire à une acceptation automatique de tous les projets. Une analyse locale fine demeure indispensable, et l’existence d’un paysage jugé d’une valeur supérieure peut constituer un obstacle juridique insurmontable, même pour un projet de taille limitée. Elle incite ainsi à une recherche plus approfondie de sites d’implantation moins sensibles et à un dialogue renforcé en amont avec les services chargés de la protection du patrimoine et des paysages.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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