Cour d’appel administrative de Douai, le 14 février 2025, n°23DA00166

Un propriétaire, après avoir acquis un immeuble en 1998, s’est vu notifier par le maire de la commune un arrêté de péril non imminent en 2003. Cet arrêté, prescrivant des travaux de démolition, a été homologué par un jugement du tribunal administratif de Lille en 2004, lequel a enjoint au propriétaire de réaliser les travaux dans un délai d’un mois, faute de quoi ils seraient exécutés d’office à ses frais. Face à l’inaction persistante de ce dernier, la commune l’a informé, par un courrier du 6 juin 2011, de sa décision de procéder elle-même à la démolition. Les travaux ont été effectués durant le second semestre de 2011. En 2020, le propriétaire a saisi le tribunal administratif de Lille d’une demande visant à l’annulation de la décision de démolir et des actes subséquents, ainsi qu’à la suspension des poursuites pour le recouvrement du coût des travaux. Par un jugement du 29 novembre 2022, le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable. Le propriétaire a alors interjeté appel de ce jugement. Il soutenait principalement que sa requête n’était pas tardive et que la décision de démolir était infondée. La commune, en défense, a fait valoir la tardiveté du recours en application du principe de sécurité juridique et l’irrecevabilité des conclusions dirigées contre des actes non identifiés, ainsi que l’incompétence du juge administratif pour statuer sur la suspension du recouvrement de la créance.

Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si un recours juridictionnel pouvait être valablement exercé près de neuf ans après la connaissance acquise d’une décision, lorsque celle-ci ne mentionnait pas les voies et délais de recours. En outre, il lui appartenait de se prononcer sur la compétence du juge administratif pour ordonner la suspension des poursuites relatives au recouvrement d’une créance non fiscale d’une collectivité territoriale. Par une décision en date du 14 février 2025, la cour rejette la requête. Elle confirme que les conclusions en annulation ont été présentées au-delà du délai raisonnable d’un an et se déclare incompétente pour connaître des conclusions relatives à la suspension des poursuites. L’arrêt illustre ainsi la consolidation des situations juridiques par l’écoulement du temps (I), avant de réaffirmer la répartition des compétences juridictionnelles en matière de recouvrement des créances publiques (II).

I. La consolidation des situations juridiques par l’application du délai de recours raisonnable

La cour administrative d’appel confirme la décision des premiers juges en opposant l’irrecevabilité du recours pour tardiveté, se fondant sur le point de départ d’un délai raisonnable objectivé par la connaissance acquise de l’acte (A) et procédant à une application rigoureuse du principe de sécurité juridique (B).

A. La connaissance acquise de l’acte comme point de départ du délai raisonnable

Le juge administratif rappelle que l’absence de mention des voies et délais de recours dans la notification d’une décision administrative a pour effet de ne pas faire courir le délai de recours contentieux de deux mois prévu par l’article R. 421-1 du code de justice administrative. Toutefois, cette carence de l’administration ne permet pas au destinataire de la décision de la contester indéfiniment. Pour pallier cette situation, la jurisprudence a consacré le principe d’un délai de recours raisonnable. La cour recherche alors le moment où le requérant a eu effectivement connaissance de la décision contestée, à savoir l’acte du 6 juin 2011. Elle constate que même si la notification initiale par lettre recommandée n’a pu être formellement établie, « par un courrier du 7 juillet 2011, le conseil de l’appelant a, à la demande de celui-ci, saisi la commune de Lille en vue d’obtenir des informations sur la démolition d’office de l’immeuble ». En réponse, la commune a transmis une copie de l’acte litigieux au conseil, qui l’a réceptionnée le 2 août 2011. C’est à cette dernière date que la cour fixe le point de départ du délai raisonnable, considérant que le requérant est « réputé avoir eu connaissance de l’acte du 6 juin 2011 en litige au plus tard le 2 août 2011 ». Cette approche pragmatique permet d’établir une connaissance certaine et de faire prévaloir la substance sur le formalisme de la notification.

B. L’application rigoureuse du principe de sécurité juridique

Une fois le point de départ du délai établi, la cour applique sans détour le principe de sécurité juridique. Elle cite le considérant de principe selon lequel ce dernier « fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ». En l’absence de circonstances particulières invoquées par le requérant, ce délai raisonnable ne saurait excéder un an. La requête ayant été enregistrée au greffe le 4 août 2020, soit neuf ans après la connaissance acquise de l’acte, elle est manifestement tardive. La cour confirme ainsi le jugement de première instance en des termes qui ne laissent place à aucune interprétation. La solution est une application directe et orthodoxe de la jurisprudence issue de l’arrêt du Conseil d’État *Czabaj* du 13 juillet 2016. L’arrêt ne constitue pas un revirement mais une réaffirmation de l’équilibre trouvé par le juge entre le droit au recours des administrés et la nécessité de stabiliser les situations juridiques dans le temps, même lorsque l’administration a été défaillante dans son obligation d’information.

Après avoir écarté les conclusions en annulation pour irrecevabilité, la cour se penche sur la demande de suspension des poursuites, ce qui l’amène à se prononcer sur l’étendue de sa propre compétence.

II. La confirmation de la compétence exclusive du juge de l’exécution en matière de recouvrement

La décision réaffirme sans ambiguïté la répartition des compétences entre les ordres de juridiction, en se fondant sur des dispositions législatives claires qui attribuent au juge de l’exécution le contentieux du recouvrement (A), ce qui conduit inéluctablement le juge administratif à se déclarer incompétent (B).

A. Le fondement légal de la répartition des compétences

Pour statuer sur la demande de suspension des poursuites engagées pour le recouvrement du coût des travaux de démolition, le juge administratif examine les textes qui régissent la matière. Il vise l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ainsi que l’article L. 281 du livre des procédures fiscales. Il ressort de la lecture combinée de ces dispositions que les contestations relatives au recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales relèvent d’une compétence d’attribution. La cour prend soin de citer la lettre même du texte applicable, qui dispose que les recours contre les décisions prises par l’administration sur ces contestations « sont portés (…) c) Pour les créances non fiscales des collectivités territoriales (…) devant le juge de l’exécution. » Le fondement de l’incompétence du juge administratif est donc purement textuel et ne souffre d’aucune discussion. La créance détenue par la commune sur le propriétaire, correspondant au coût des travaux de démolition réalisés d’office, est une créance non fiscale, ce qui la place directement dans le champ de compétence du juge judiciaire.

B. L’incompétence matérielle du juge administratif

En conséquence logique de ce fondement légal, la cour ne peut que constater son incompétence matérielle pour connaître de la demande de suspension. Elle précise que « l’ensemble du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales est de la compétence du juge de l’exécution ». La demande du requérant, qui visait à obtenir du juge de l’excès de pouvoir une mesure relevant de l’exécution forcée, était donc mal dirigée. Cette décision rappelle utilement les frontières qui séparent le contentieux de la légalité de l’acte administratif, qui relève du juge administratif, et celui de son exécution forcée sur le patrimoine du débiteur, qui appartient au juge de l’exécution. En se déclarant incompétent, le juge administratif ne fait qu’appliquer la loi et respecter le partage des juridictions voulu par le législateur. Cette solution, classique, a le mérite de clarifier pour les justiciables les voies de droit qui leur sont offertes et d’éviter des recours voués à l’échec pour des motifs de pure compétence.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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