Par un arrêt en date du 11 juin 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un permis de construire après la mise en œuvre d’une procédure de régularisation. En l’espèce, une commune avait délivré un permis de construire pour un ensemble de quarante-six logements, suivi d’un permis modificatif. Des voisins du projet ont contesté ces autorisations. Le tribunal administratif d’Amiens, par un jugement du 19 septembre 2023, a fait droit à leur demande en annulant les permis. Saisie en appel par la société pétitionnaire et la commune, la cour a, par un arrêt avant dire droit du 26 septembre 2024, identifié deux illégalités affectant le projet. Elle a estimé que le permis méconnaissait l’article L. 111-11 du code de l’urbanisme en raison de l’insuffisante capacité du réseau public d’assainissement, ainsi que l’article R. 111-2 du même code au regard des risques pour la sécurité publique liés à des plantations. Jugeant ces vices régularisables, la cour a sursis à statuer en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, impartissant un délai pour la notification d’un permis de construire modificatif. Un tel permis a été délivré le 14 janvier 2025.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si les mesures contenues dans un permis de construire modificatif suffisaient à purger les illégalités initialement constatées et, par ailleurs, si ce même permis n’introduisait pas de nouveaux vices affectant la légalité du projet.
La cour administrative d’appel répond par l’affirmative à la première question et par la négative à la seconde. Elle juge que le permis de construire modificatif a remédié aux vices identifiés, tant en ce qui concerne la desserte par le réseau d’assainissement que les risques pour la sécurité publique. Elle écarte par ailleurs les nouveaux moyens soulevés par les requérants, estimant qu’ils ne sont pas fondés. En conséquence, la cour annule le jugement de première instance et rejette l’ensemble des demandes des voisins, validant ainsi définitivement l’autorisation de construire.
Cet arrêt illustre la portée extensive du mécanisme de régularisation des autorisations d’urbanisme, en confirmant l’efficacité des mesures correctrices prises à l’initiative du juge (I). Parallèlement, il circonscrit rigoureusement les possibilités de contestation du permis ainsi régularisé, renforçant la sécurité juridique des projets de construction (II).
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I. La consécration de l’efficacité du sursis à statuer en vue d’une régularisation
La décision commentée témoigne de l’application pragmatique du sursis à statuer prévu par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, en validant les corrections apportées à deux illégalités distinctes. La première concernait l’insuffisance des réseaux publics (A), tandis que la seconde portait sur un risque pour la sécurité publique (B).
A. La régularisation d’une desserte insuffisante par les réseaux publics
Le permis de construire initial avait été jugé illégal au regard de l’article L. 111-11 du code de l’urbanisme, qui subordonne la délivrance d’une autorisation à la capacité des réseaux publics, notamment d’assainissement, de desservir le projet. La cour avait constaté que le réseau existant ne pouvait recevoir les effluents supplémentaires sans des travaux de renforcement. Dans son arrêt avant dire droit, elle avait donc invité l’autorité compétente à produire un permis modificatif précisant la nature, le délai, le financement et la maîtrise d’ouvrage de ces travaux. L’arrêté du 14 janvier 2025 a répondu à cette injonction en détaillant un programme de travaux incluant le « chemisage de la canalisation » et la « séparation des réseaux d’assainissement et d’évacuation des eaux pluviales », avec un calendrier et des coûts prévisionnels.
La cour estime que ces éléments satisfont aux exigences qu’elle avait formulées. Elle considère que l’arrêté modificatif fournit les garanties nécessaires quant à la future capacité du réseau. Elle juge ainsi que « le vice tiré de la méconnaissance de l’article L.111-11 du code de l’urbanisme doit être regardé comme régularisé ». Cette approche démontre que la régularisation peut porter non seulement sur le projet lui-même, mais aussi sur les infrastructures publiques dont il dépend, dès lors que l’autorité compétente s’engage sur un programme de travaux précis et crédible. La régularisation devient alors un outil de coordination entre la planification urbaine et la gestion des équipements publics.
B. La neutralisation d’un risque avéré pour la sécurité publique
Le second vice identifié par la cour relevait de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, relatif à la sécurité publique. Le projet initial prévoyait la plantation de peupliers à proximité des bâtiments, ce qui, selon la cour, présentait « le risque que les racines provoquent le soulèvement des revêtements, la dessiccation des sols d’assise des fondations et l’infiltration des réseaux ». Ce risque concret et matériel était de nature à justifier l’annulation du permis. Toutefois, la cour a estimé qu’il pouvait être pallié par une modification du projet paysager. Le permis de régularisation a donc supprimé les peupliers problématiques au profit d’autres essences et de la création d’une « forêt urbaine ».
En jugeant que cette substitution répond « à la critique de risque d’atteinte à la stabilité des constructions », la cour valide une régularisation qui consiste en une modification substantielle d’une composante du projet. L’instance contentieuse ne conduit pas à une censure pure et simple, mais incite le pétitionnaire à amender sa proposition pour la rendre conforme aux règles de sécurité. La souplesse du mécanisme est ici mise en exergue, permettant de sauver un projet de construction tout en garantissant la prévention des risques pour les futures constructions et leur environnement immédiat.
II. L’encadrement strict de la contestation du permis de construire régularisé
Après avoir validé le principe et les modalités de la régularisation, la cour se penche sur les arguments des requérants dirigés contre le permis modificatif. Elle adopte une position restrictive, d’une part en écartant les critiques relatives à l’interprétation des mesures correctrices (A), et d’autre part en exerçant un contrôle limité sur les nouveaux risques allégués (B).
A. Le rejet des critiques portant sur l’interprétation des mesures correctrices
Les requérants contestaient l’effectivité des régularisations. S’agissant du réseau d’assainissement, ils soutenaient que les travaux prévus ne résolvaient pas le problème fondamental de la faible pente du collecteur. La cour écarte cet argument en se tenant aux informations fournies dans l’arrêté, qui décrivent des travaux permettant une amélioration de l’écoulement. Concernant le volet paysager, les requérants arguaient que le remplacement des arbres abattus ne respectait pas l’article 2.8 du plan local d’urbanisme (PLU), qui impose la plantation d’une « espèce équivalente ». La cour livre ici une interprétation finaliste de la règle. Elle juge qu' »il ne ressort pas de l’article 2.8 du règlement du PLU que l’expression ‘arbre d’une espèce équivalente’ doive se comprendre au sens strictement botanique du terme ».
En validant le choix d’essences qui concordent avec « le lieu et l’usage toujours dans le respect d’une équivalence en termes de forme et de maturité », la cour refuse une lecture excessivement formaliste du PLU. Elle privilégie une approche fonctionnelle de l’équivalence, qui laisse une marge d’appréciation au concepteur du projet. Cette interprétation souple de la norme d’urbanisme, dans le cadre du contentieux de la régularisation, empêche que des contestations fondées sur des points de détail ne viennent faire échec à l’ensemble du processus.
B. Le contrôle restreint des nouveaux risques allégués
La procédure de régularisation a pour effet de cristalliser les moyens de contestation. La cour le rappelle en précisant que seuls peuvent être invoqués des vices propres à l’acte de régularisation ou « ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation ». Les requérants ont tenté d’utiliser cette voie en soutenant que le nouveau projet paysager créait de nouveaux risques. Ils invoquaient d’une part un risque pour la salubrité publique lié à l’aggravation de la pression sur la ressource en eau potable, et d’autre part des risques pour la sécurité tenant à la stabilité des nouveaux arbres.
La cour déclare ces moyens opérants sur le principe, car ils découlent bien des modifications apportées au projet. Toutefois, elle les rejette sur le fond au motif qu’ils ne sont pas suffisamment démontrés. Elle estime que les requérants « ne démontrent pas que la ressource en eau potable serait insuffisante » et que les risques pour la sécurité publique « ne sont pas établis ». Ce faisant, la cour place la charge de la preuve de manière claire sur les épaules des contestataires. Si la régularisation ouvre la porte à de nouvelles critiques, celles-ci doivent être étayées par des éléments probants et ne peuvent reposer sur de simples hypothèses. Cette exigence probatoire élevée limite le risque que la procédure de régularisation ne se transforme en un nouveau procès de l’ensemble du projet, et assure ainsi la finalité de l’article L. 600-5-1, qui est de sécuriser les autorisations d’urbanisme.