Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 mai 2025, n°23BX02344

Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 6 mai 2025 illustre le contrôle exercé par le juge administratif sur les documents d’urbanisme et la conciliation entre les objectifs de développement et de protection de l’environnement. En l’espèce, un propriétaire foncier a contesté la légalité d’un plan local d’urbanisme intercommunal approuvé par une communauté de communes le 27 février 2020. Le requérant s’opposait spécifiquement à deux classifications concernant ses parcelles : l’une, située sur la commune de Capbreton, grevée d’une servitude d’espace boisé classé, et l’autre, sur la commune de Messanges, classée en zone naturelle inconstructible. Le propriétaire soutenait que ces choix de zonage étaient entachés d’illégalité et d’erreurs d’appréciation manifestes.

Saisi en première instance, le tribunal administratif de Pau avait rejeté l’ensemble de ses demandes par un jugement du 27 juin 2023. Le requérant a donc interjeté appel de cette décision, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens. Il invoquait à la fois des vices de procédure dans l’élaboration du document d’urbanisme et, sur le fond, une violation de la loi ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation commises par les auteurs du plan. Se posait alors au juge d’appel la question de savoir si le classement d’une parcelle en espace boisé au sein d’un secteur urbanisé et celui d’une autre parcelle en zone naturelle à distance du bourg principal étaient justifiés au regard des objectifs du plan et des dispositions légales applicables, notamment celles de la loi Littoral.

Par la décision commentée, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la procédure d’élaboration du plan n’a pas été viciée de manière substantielle et que, sur le fond, les choix de classement opérés par la communauté de communes ne sont entachés d’aucune erreur manifeste d’appréciation. La cour confirme ainsi que les objectifs de préservation paysagère peuvent justifier des restrictions au droit de construire, y compris en zone urbaine, et adopte une interprétation stricte des critères d’urbanisation en zone littorale. La solution retenue témoigne de la primauté accordée au parti d’aménagement global sur les situations foncières particulières, illustrant la marge d’appréciation des collectivités en matière d’urbanisme (I) et la recherche constante d’un équilibre entre les impératifs de construction et la protection des espaces naturels (II).

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I. La confirmation du pouvoir d’appréciation des auteurs du plan sous le contrôle restreint du juge

La cour administrative d’appel, en validant la procédure d’élaboration du document d’urbanisme (A) et en refusant de sanctionner les choix de classement contestés (B), réaffirme le caractère limité de son contrôle sur l’opportunité des partis d’aménagement.

A. La neutralisation des vices de procédure en l’absence d’influence avérée

Le requérant soulevait plusieurs moyens de légalité externe, notamment le défaut de nouvelle consultation des personnes publiques associées après une modification substantielle du projet de plan. Avant l’enquête publique, le nombre de secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) avait en effet été drastiquement réduit. La cour reconnaît que, en principe, une telle modification aurait dû entraîner une nouvelle consultation. Toutefois, elle applique une jurisprudence constante en la matière en recherchant si cette omission a concrètement nui à l’information du public ou a été susceptible d’exercer une influence sur la décision finale.

Constatant que le public a été informé de cette modification et qu’il n’est pas démontré que celle-ci a altéré l’économie générale du projet, la cour écarte le moyen. Elle juge que « l’omission d’une nouvelle consultation des personnes publiques associées sur le projet de PLUI modifié avant l’enquête publique n’est de nature à vicier la procédure ». Cette approche pragmatique, qui subordonne l’annulation à la preuve d’un grief, permet d’éviter que des irrégularités formelles sans conséquence réelle ne viennent paralyser l’action administrative. De même, la cour estime que la commission d’enquête a suffisamment rempli sa mission, rappelant qu’elle n’est pas tenue de répondre à chaque observation du public.

B. Le rejet de l’erreur manifeste d’appréciation face à un parti d’aménagement cohérent

Sur le fond, le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint sur les choix de zonage, se limitant à sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, la cour refuse de qualifier ainsi les classements contestés. Concernant les parcelles de Capbreton, elle juge que le maintien d’une servitude d’espace boisé classé, même dans un secteur en voie d’urbanisation, n’est pas manifestement erroné. Elle retient que la propriété du requérant « est majoritairement boisée » et s’inscrit dans un parti d’urbanisme qui concilie « la densification des secteurs urbains et la conservation de la qualité paysagère des lieux ».

De même, pour la parcelle de Messanges, la cour valide son classement en zone naturelle. Elle constate que ce terrain est « éloigné du bourg de la commune de Messanges », qu’il est situé dans un « compartiment du territoire caractérisé par un habitat diffus » et qu’il ne supporte aucune construction. Dès lors, le classer en zone N pour préserver les secteurs naturels, conformément aux objectifs du projet d’aménagement et de développement durables (PADD), n’est pas entaché d’une erreur manifeste. L’arrêt démontre que tant que le choix de l’administration n’est pas grossièrement inadapté ou illogique, le juge ne substituera pas sa propre appréciation à celle des auteurs du plan.

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II. La prééminence des objectifs de protection sur le droit de construire

Au-delà du contrôle de l’erreur manifeste, la cour s’est attachée à vérifier la cohérence des choix de zonage avec les objectifs supérieurs du plan et du code de l’urbanisme. Elle consacre ainsi une logique d’équilibre entre densification et préservation (A) tout en appliquant de manière rigoureuse les contraintes spécifiques à la loi Littoral (B).

A. La conciliation entre la densification urbaine et la préservation des paysages

Le requérant soutenait que classer ses parcelles de Capbreton en espace boisé était incohérent avec l’objectif de densification des secteurs déjà urbanisés, affiché dans le PADD. La cour écarte cet argument en rappelant que le juge doit apprécier la cohérence du règlement avec le PADD de manière globale, à l’échelle de l’ensemble du territoire. Elle souligne que les auteurs du plan ont poursuivi un double objectif : promouvoir une « urbanisation compacte » mais aussi garantir « la qualité paysagère des sites ».

La cour considère qu’il n’y a pas d’incohérence à préserver un « ilot paysager au sein d’un secteur urbain » pour satisfaire ce second objectif. Elle juge ainsi que « l’inadéquation d’une disposition du règlement du plan local d’urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d’aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement (…) à caractériser une incohérence ». Cette décision réaffirme que les orientations du PADD ne sont pas toutes d’égale portée et doivent être conciliées entre elles. Le juge valide ainsi un arbitrage qui, bien que défavorable à un propriétaire, sert un intérêt général de préservation du cadre de vie.

B. L’interprétation stricte de la notion d’urbanisation en zone littorale

La qualification de la parcelle de Messanges soulevait la question de son statut au regard de la loi Littoral, qui encadre strictement l’extension de l’urbanisation. Le requérant affirmait que sa parcelle se situait dans un « secteur déjà urbanisé » au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, ce qui aurait dû permettre sa construction. La cour procède à une analyse factuelle précise pour rejeter cette qualification. Elle relève que la parcelle est distante de plus de 1400 mètres du bourg et se trouve dans une « zone d’habitat diffus » composée d’une dizaine de constructions éloignées les unes des autres.

Elle en conclut que ce secteur ne constitue « ni un village ou une agglomération », « ni d’un secteur déjà urbanisé » au sens de la loi. Cette interprétation rigoureuse des critères de densité, de continuité et de structuration par les réseaux est classique en contentieux de l’urbanisme littoral. Elle vise à lutter contre le mitage et l’urbanisation diffuse dans les espaces proches du rivage. En refusant de considérer quelques habitations dispersées comme un secteur urbanisé, la cour confirme que le principe de l’extension en continuité de l’urbanisation existante demeure la règle cardinale, justifiant pleinement un classement en zone naturelle.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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