Par un arrêt en date du 4 février 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux se prononce sur la légalité d’un permis de construire modificatif, en précisant l’office du juge administratif face à une autorisation d’urbanisme contestée.
Un pétitionnaire, après avoir obtenu un permis de construire pour l’édification de deux maisons individuelles, a sollicité et obtenu un permis de construire modificatif. Un voisin immédiat, estimant que ce second acte lui portait préjudice, a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une demande d’annulation. Par un jugement du 17 mars 2022, les premiers juges ont fait droit à cette demande, annulant l’arrêté municipal au motif que le dossier de demande était incomplet et que l’autorisation avait été obtenue par fraude. Le bénéficiaire du permis de construire a alors interjeté appel de ce jugement, demandant à la cour de l’annuler et de rejeter la demande de première instance.
Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si les motifs d’incomplétude du dossier et de fraude étaient suffisants pour justifier l’annulation du permis de construire modificatif et, dans la négative, d’examiner, par l’effet dévolutif de l’appel, les autres moyens soulevés en première instance. La question se posait alors de savoir quelles conséquences le juge devait tirer de l’éventuelle identification de nouvelles illégalités affectant l’autorisation d’urbanisme.
La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance, considérant que ni l’incomplétude du dossier ni la fraude n’étaient caractérisées. Faisant usage de l’effet dévolutif de l’appel, elle a cependant identifié deux illégalités distinctes tenant à la méconnaissance des règles d’emprise au sol et d’espaces verts prévues par le plan local d’urbanisme. Plutôt que de prononcer l’annulation de l’acte, la cour a fait application du mécanisme de régularisation prévu par le code de l’urbanisme, en décidant de surseoir à statuer dans l’attente de la délivrance d’un permis de régularisation.
Cette décision conduit à examiner la censure par le juge d’appel des motifs d’annulation initialement retenus (I), avant d’analyser la mise en œuvre d’une solution de régularisation révélatrice de l’évolution de l’office du juge administratif (II).
I. La censure des motifs d’annulation retenus en première instance
La cour administrative d’appel a infirmé le raisonnement des premiers juges en écartant successivement le grief tiré de l’incomplétude du dossier de demande (A) et celui fondé sur l’existence d’une fraude du pétitionnaire (B).
A. Le rejet pragmatique du moyen tiré de l’incomplétude du dossier
Pour annuler l’arrêté, le tribunal administratif s’était fondé sur le fait que le dossier de demande de permis modificatif ne détaillait pas les caractéristiques des terrasses projetées. La cour d’appel a toutefois considéré que cette omission n’était pas de nature à entacher la légalité de l’autorisation. Elle relève en effet que si les dimensions des terrasses n’étaient pas explicitement mentionnées dans la notice descriptive, « le plan de masse est à l’échelle, ce qui permettait au service instructeur de déduire leur longueur et leur largeur ».
En statuant ainsi, la cour rappelle qu’une insuffisance du dossier de demande ne vicie la procédure, et donc la légalité de l’autorisation, que si elle « a été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ». Cette solution, classique en contentieux de l’urbanisme, témoigne d’une approche pragmatique qui privilégie la substance sur le formalisme. Le juge vérifie si, concrètement, l’administration disposait des informations nécessaires pour exercer son contrôle de légalité. L’absence d’une mention dans une pièce du dossier peut ainsi être compensée par sa présence dans une autre, dès lors que l’ensemble permet une instruction éclairée.
B. La distinction rigoureuse entre légalité de l’autorisation et exécution des travaux
Le tribunal avait également retenu l’existence d’une fraude, en se fondant sur une différence constatée entre la longueur des façades déclarée dans les plans et celle réellement construite. La cour d’appel écarte ce motif en opérant une distinction fondamentale entre la légalité de l’acte et son exécution. Elle juge que la non-conformité des travaux effectivement réalisés par rapport aux plans autorisés relève d’un contrôle a posteriori et ne peut affecter la légalité du permis lui-même, « sauf le cas d’éléments établissant l’existence d’une fraude à la date de la délivrance du permis ».
Or, en l’espèce, la cour estime qu’aucune intention frauduleuse n’est démontrée, l’erreur de dimension provenant de l’architecte et le permis modificatif ne portant pas sur cet aspect de la construction. La circonstance qu’un procès-verbal d’infraction ait été dressé pour non-respect du permis initial est jugée « sans incidence sur la légalité du permis de construire modificatif ». Cette position réaffirme que le permis autorise un projet sur la base des plans fournis, tandis que le respect de cette autorisation lors de la construction est une question distincte, sanctionnée par d’autres voies, notamment pénales ou par le refus de la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux.
Après avoir ainsi écarté les motifs qui avaient fondé l’annulation en première instance, la cour, saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel, a poursuivi son contrôle et identifié d’autres illégalités, ouvrant la voie à une issue constructive.
II. La consécration d’une solution de régularisation par l’office du juge d’appel
L’examen des autres moyens soulevés par le requérant a conduit la cour à constater l’existence de violations du plan local d’urbanisme (A), mais à privilégier une mesure de régularisation plutôt que l’annulation pure et simple de l’autorisation (B).
A. L’identification de violations substantielles du plan local d’urbanisme
En examinant les moyens qui n’avaient pas été tranchés par le tribunal, la cour a constaté que le projet méconnaissait deux règles de fond du plan local d’urbanisme. D’une part, « l’emprise au sol totale du projet (…) s’établit à (…) plus de 10 % de la superficie totale du terrain », en violation de l’article UD 9 du règlement local. D’autre part, les surfaces imperméabilisées du projet représentent plus de 30 % de la superficie du terrain, ce qui contrevient à l’article UD 13 qui impose « au moins 70 % d’espaces verts en pleine terre ».
Ces deux illégalités, qui touchent à des règles essentielles de densité et de préservation des sols, auraient pu justifier l’annulation de l’arrêté. L’office du juge ne s’est cependant pas arrêté à ce simple constat. La cour a en effet examiné la possibilité de corriger ces vices, conformément à l’évolution du contentieux de l’urbanisme qui tend à « sauver » les projets chaque fois que cela est juridiquement possible.
B. Le recours privilégié au sursis à statuer en vue d’une régularisation
Plutôt que d’annuler une autorisation pour des vices potentiellement régularisables, le juge administratif dispose de la faculté de surseoir à statuer. C’est la voie choisie par la cour, qui fait une application directe de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Elle estime en effet que les vices tirés de la méconnaissance des articles UD 9 et UD 13 « sont susceptibles d’être régularisés ». Par conséquent, elle sursoit à statuer et accorde au pétitionnaire un délai de quatre mois pour obtenir et notifier à la cour une mesure de régularisation, vraisemblablement un nouveau permis modificatif corrigeant le projet pour respecter les ratios d’emprise au sol et d’espaces verts.
Cette décision illustre parfaitement la transformation du rôle du juge administratif en matière d’urbanisme. D’un juge de l’annulation, il est devenu un juge du projet, soucieux de concilier la légalité et la faisabilité des opérations de construction. En privilégiant la régularisation, il évite les conséquences économiques et sociales d’une annulation contentieuse, tout en assurant le respect des règles d’urbanisme. La portée de cette approche est considérable, car elle incite les parties au dialogue et à la recherche de solutions constructives, même en cours d’instance.