Par une décision rendue le 3 avril 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un permis de construire autorisant un important projet immobilier. Cet arrêt présente un double intérêt en ce qu’il précise d’abord les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir d’un voisin contre une autorisation d’urbanisme, avant de faire application des mécanismes de régularisation des illégalités constatées.
En l’espèce, un maire a délivré un permis de construire pour l’édification d’une résidence étudiante et d’un bâtiment d’habitation. Une propriétaire d’appartements situés dans un immeuble jouxtant le terrain du projet a formé un recours gracieux, qui fut rejeté. Elle a alors saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de ce permis. Par un jugement du 18 avril 2024, le tribunal administratif a déclaré sa demande irrecevable au motif qu’elle ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir. La requérante a interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation des premiers juges sur sa qualité pour agir et soulevant, sur le fond, plusieurs illégalités à l’encontre du permis de construire initial et de son modificatif. Le problème de droit soulevé par cette affaire était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si une voisine, dont les biens immobiliers ne subissent qu’une atteinte visuelle limitée, justifie d’un intérêt à agir contre un projet de construction d’envergure. D’autre part, la question se posait de savoir quelles conséquences le juge doit tirer d’une illégalité entachant un permis de construire lorsque celle-ci apparaît régularisable. La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance, considérant que l’intérêt à agir de la requérante était suffisamment établi. Évoquant l’affaire, elle juge le permis de construire illégal sur un point précis mais, estimant le vice régularisable, décide de surseoir à statuer dans l’attente d’une mesure de correction.
L’analyse de cet arrêt révèle d’abord une conception extensive de l’intérêt à agir, protectrice du droit au recours des voisins (I), puis illustre la mise en œuvre d’un pouvoir de régularisation pragmatique face à une illégalité circonscrite (II).
I. La consécration d’une appréciation souple de l’intérêt à agir
La cour administrative d’appel, en annulant le jugement de première instance, a rappelé les principes régissant l’intérêt à agir en matière d’urbanisme (A) avant de confirmer une interprétation favorisant l’accès au juge pour les voisins immédiats (B).
A. Le rejet d’une exigence probatoire excessive pour le requérant
La cour administrative d’appel a censuré l’appréciation particulièrement restrictive des premiers juges. En effet, pour écarter l’intérêt à agir, le tribunal s’était fondé sur la distance entre les propriétés, l’absence de vues directes et le caractère non démontré des nuisances futures. La cour, rappelant l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, précise qu’il appartient au requérant de fournir des éléments précis et étayés établissant une atteinte directe potentielle à ses conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance. Il n’est cependant pas requis d’apporter la preuve d’un préjudice certain.
En l’espèce, la cour a jugé que plusieurs éléments suffisaient à caractériser l’intérêt à agir. Elle a notamment retenu « l’importance du projet, qui consiste en la création de 136 logements », le quadruplement de la surface de plancher et la proximité des constructions. Surtout, elle a pris en compte le fait que, malgré l’absence de vue directe, la requérante produisait un photomontage faisant état de vues obliques et d’un « effet barre » fermant l’environnement immédiat. Ces éléments, pris dans leur globalité, étaient suffisants pour établir que le projet était de nature à affecter directement les conditions de jouissance du bien de la requérante.
B. La garantie d’un droit au recours effectif contre les projets de construction
Au-delà du cas d’espèce, la solution retenue par la cour administrative d’appel revêt une portée significative pour la protection des droits des tiers. En adoptant une approche globale et concrète, le juge d’appel évite que l’exigence posée par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme ne devienne un obstacle insurmontable, particulièrement dans les zones denses où les vues directes sont rares. Valider l’analyse des premiers juges aurait conduit à priver de recours des voisins très proches, au seul motif que l’impact visuel n’est pas frontal, vidant ainsi de sa substance le droit de contester les autorisations d’urbanisme.
La décision réaffirme que l’appréciation de l’intérêt à agir doit être menée *in concreto*, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait, y compris la perception subjective de l’environnement par le requérant, dès lors qu’elle est étayée par des éléments objectifs. Cette jurisprudence s’inscrit dans un équilibre délicat entre la lutte contre les recours abusifs et la nécessité de ne pas immuniser les projets immobiliers contre toute contestation légitime de leur voisinage immédiat, garantissant ainsi le respect des règles d’urbanisme.
Une fois la recevabilité de la requête admise, la cour a examiné au fond la légalité de l’autorisation contestée, faisant preuve d’un pragmatisme notable dans la sanction de l’illégalité identifiée.
II. Le traitement pragmatique d’une illégalité régularisable
Après avoir écarté la majorité des moyens soulevés par la requérante, la cour a identifié une illégalité précise tenant au nombre de places de stationnement (A), ce qui l’a conduite à privilégier une mesure de régularisation plutôt qu’une annulation pure et simple (B).
A. La censure d’une violation circonscrite du plan local d’urbanisme
Le seul moyen jugé fondé par la cour est celui tiré de la méconnaissance de l’article 12 du règlement du plan local d’urbanisme intercommunal. Ce texte impose, pour toute opération de plus de quatre logements, d’ajouter aux places requises pour les résidents « un certain nombre de places de stationnement pour les visiteurs ». Le pétitionnaire, après avoir calculé les 63 places nécessaires pour les résidents, n’en avait prévu que 65 au total, laissant un reliquat de deux places pour les visiteurs. La cour a estimé ce nombre « manifestement insuffisant ».
Le juge a précisé sa lecture de la règle locale en énonçant que le nombre de places visiteurs « doit être estimé à environ 20 % de celui requis pour les résidents », ce qui portait en l’espèce l’exigence à environ huit places additionnelles. Cet attendu est remarquable car il vient quantifier une obligation réglementaire qui était formulée en des termes généraux, conférant ainsi une portée normative plus claire à la disposition du PLUi. La cour a également écarté l’argument du pétitionnaire qui prétendait bénéficier d’une réduction du nombre de places au titre de l’article L. 151-31 du code de l’urbanisme, rappelant que cette faculté doit être explicitement prévue et encadrée par le règlement d’urbanisme local pour être applicable.
B. L’application du sursis à statuer en vue d’une correction du projet
L’illégalité, bien que réelle, a été considérée par la cour comme susceptible d’être régularisée. Faisant application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le juge a décidé de surseoir à statuer. Cette technique contentieuse moderne permet de suspendre le cours de l’instance pour laisser au pétitionnaire et à l’administration la possibilité de corriger le vice identifié, généralement par la délivrance d’un permis de construire modificatif.
La portée de cette approche est considérable. Elle témoigne de la volonté du juge administratif de ne pas faire obstacle à la réalisation des projets de construction pour des motifs qui, sans être insignifiants, ne remettent pas en cause l’économie générale du projet. La création de places de stationnement supplémentaires, si elle peut imposer une réorganisation mineure des espaces extérieurs, ne constitue pas un « bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ». En octroyant un délai de six mois pour la régularisation, la cour adopte une posture constructive, conciliant le respect de la légalité et la sécurité juridique des opérations d’aménagement. Cette décision illustre parfaitement l’évolution du contentieux de l’urbanisme vers une logique de réparation plutôt que d’annulation sèche.