Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une délibération par laquelle un conseil municipal a approuvé une déclaration de projet emportant mise en compatibilité du plan local d’urbanisme de la commune. En l’espèce, une commune avait approuvé un projet de construction en centre-bourg, impliquant de modifier le document d’urbanisme en vigueur. Une association locale de défense de l’urbanisme a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Par un jugement du 5 avril 2023, le tribunal administratif a rejeté cette demande. L’association a interjeté appel de ce jugement, contestant la compétence de l’organe délibérant, la régularité de la procédure consultative et la compatibilité du projet avec les orientations fondamentales du plan d’aménagement et de développement durables. La question se posait de savoir si la procédure de mise en compatibilité avait été régulièrement menée, tant sur le plan formel que procédural, et si le projet ne portait pas atteinte à l’économie générale des documents de planification qui lui sont supérieurs. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant en tous points la validité de la délibération litigieuse. Elle considère que la procédure a été valablement conduite par le maire, que les consultations se sont déroulées de manière régulière et que le grief tiré de l’incohérence avec le plan d’aménagement et de développement durables était inopérant s’agissant d’un projet communal. Cet arrêt offre un éclairage sur les conditions de mise en œuvre de la déclaration de projet, en précisant d’une part les modalités procédurales de son adoption (I), et en clarifiant d’autre part la portée du contrôle de sa cohérence avec les documents de planification (II).
I. La consolidation des conditions procédurales de la déclaration de projet
La cour administrative d’appel adopte une approche pragmatique pour valider la procédure de mise en compatibilité, que ce soit en ce qui concerne l’engagement de la procédure par l’autorité compétente (A) ou le respect des garanties offertes aux tiers et au public (B).
A. Une direction effective de la procédure par le maire prévalant sur le formalisme
L’arrêt précise utilement que la conduite de la procédure de mise en compatibilité par le maire n’exige pas un acte formel d’engagement. L’article R. 153-15 du code de l’urbanisme dispose que le maire « mène la procédure de mise en compatibilité », sans pour autant prescrire une forme particulière pour le lancement de celle-ci. La juridiction d’appel considère que la preuve de cette diligence peut résulter d’un ensemble d’actes et d’initiatives. En l’espèce, le juge a relevé que le maire avait présenté le projet en conseil municipal, participé à la réunion d’examen conjoint et prescrit l’enquête publique par un arrêté. Ces éléments suffisent à établir que l’autorité exécutive a bien exercé la compétence que les textes lui attribuent, rendant sans incidence la circonstance qu’une délibération initiale du conseil municipal ait prescrit la déclaration de projet.
Cette solution privilégie une interprétation matérielle des règles de compétence et de procédure, s’attachant à la réalité des actions menées plutôt qu’à une stricte observance de formes non prévues par la loi. Elle prévient ainsi l’annulation d’actes d’urbanisme pour des vices de pure forme, dès lors que l’autorité compétente a effectivement et sans équivoque piloté la procédure. Cette approche renforce la sécurité juridique des projets d’aménagement en limitant les possibilités de contestation fondées sur des arguments excessivement formalistes. Elle confirme que la compétence pour mener la procédure se manifeste par son exercice effectif.
B. La confirmation d’une conception souple des obligations de consultation
La cour écarte également les moyens tirés de l’irrégularité des consultations préalables à l’approbation du projet. Elle rappelle d’abord que l’obligation d’examen conjoint prévue à l’article L. 153-54 du code de l’urbanisme impose de convoquer les personnes publiques associées, mais ne garantit pas leur présence effective. Le juge constate que les convocations ont été dûment adressées, comme en attestent plusieurs pièces du dossier, notamment le procès-verbal de la réunion et la feuille d’émargement. Par conséquent, l’absence de certaines collectivités à la réunion ne constitue pas un vice de procédure, l’obligation de l’autorité organisatrice se limitant à permettre leur participation.
De même, l’arrêt rejette l’argument selon lequel le public aurait été insuffisamment informé en raison de l’absence prétendue du procès-verbal de l’examen conjoint dans le dossier d’enquête publique. La cour fonde sa conviction sur un faisceau d’indices, incluant les mentions du dossier de déclaration de projet, les conclusions du commissaire enquêteur et l’arrêté d’ouverture de l’enquête, pour conclure à la présence effective de ce document. Cette appréciation factuelle montre que la simple allégation d’une omission ne suffit pas à vicier une procédure, surtout lorsque plusieurs éléments concordants du dossier la contredisent. La décision réaffirme ainsi que le contrôle juridictionnel porte sur la réalité et la complétude des informations mises à la disposition du public.
II. Une application stricte du contrôle de cohérence matérielle du projet
L’arrêt se distingue surtout par son analyse des contraintes de fond pesant sur la déclaration de projet, en écartant avec rigueur le moyen tiré de l’atteinte au PADD (A), avant de procéder à une analyse subsidiaire de la cohérence d’ensemble du projet (B).
A. Le caractère inopérant du grief d’atteinte à l’économie générale du PADD
La cour administrative d’appel livre une interprétation littérale de l’article L. 300-6 du code de l’urbanisme, qui constitue l’apport principal de la décision. Elle juge que l’obligation pour une déclaration de projet de ne pas porter atteinte à l’économie générale du projet d’aménagement et de développement durables ne s’applique pas lorsque le projet est porté par la commune elle-même. Selon le juge, cette disposition a été conçue comme une garantie pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, afin de les protéger contre des projets imposés par une autorité supérieure, telle que l’État, un département ou une région. Le moyen soulevé par l’association requérante est donc déclaré « inopérant ».
Cette lecture rigoureuse restreint le champ d’application d’un contrôle de cohérence qui pouvait sembler s’imposer de manière générale. La solution implique qu’une commune, lorsqu’elle agit pour son propre compte, peut faire évoluer ses propres orientations d’urbanisme par la voie de la déclaration de projet, sans être contrainte par l’économie générale de son PADD existant. C’est l’acte même d’approbation de la déclaration de projet par le conseil municipal qui matérialise une nouvelle expression de la volonté de la collectivité, modifiant ainsi sa propre planification. Cette interprétation renforce l’autonomie communale en matière d’urbanisme de projet, tout en soulignant la nature spécifique de la protection instaurée par le législateur.
B. L’appréciation subsidiaire de l’absence d’incohérence du projet avec les orientations d’aménagement
À titre surabondant, la cour examine néanmoins la cohérence du projet avec le PADD. Elle relève que si ce dernier vise à « freiner et encadrer le développement de l’habitat », il poursuit également l’objectif de « structurer les centres bourgs et valoriser le cadre de vie », notamment en renforçant la densité et la mixité sociale et fonctionnelle. Le juge considère que le projet contesté, qui prévoit la création de logements intergénérationnels et d’équipements publics en centre-bourg, s’inscrit dans le cadre de cette seconde orientation. Il estime que la poursuite de cet objectif n’est pas incohérente avec la volonté générale de maîtriser la croissance démographique.
Ce raisonnement illustre la méthode du juge administratif face à des documents de planification qui contiennent des orientations multiples, voire d’apparence contradictoire. Le contrôle se limite à vérifier l’absence d’incompatibilité manifeste et ne conduit pas à censurer les choix d’aménagement de la commune dès lors qu’ils peuvent se rattacher à l’un des objectifs du PADD. L’arrêt confirme ainsi la marge d’appréciation dont dispose l’autorité locale pour arbitrer entre différentes orientations et pour mettre en œuvre une politique d’urbanisme répondant à des besoins diversifiés, conciliant densification qualitative et maîtrise du développement.