Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 12 juin 2025, n°23BX01936

Par un arrêt du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions d’application du régime dérogatoire de la reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit. En l’espèce, un particulier avait entrepris des travaux de construction sans autorisation administrative préalable sur un terrain situé en zone naturelle. Après la destruction de ce bâti, il a sollicité un permis de construire afin de procéder à sa reconstruction, en se prévalant du régime spécifique prévu en cas de sinistre. Le maire de la commune a toutefois opposé un refus à cette demande, une décision qui a été confirmée par une décision rejetant le recours gracieux du pétitionnaire. Saisi par ce dernier, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l’annulation de ces décisions. Le requérant a donc interjeté appel de ce jugement, estimant que son projet remplissait les conditions de la reconstruction à l’identique. Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si des modifications substantielles touchant à l’aspect architectural et aux matériaux d’un projet de reconstruction faisaient obstacle à ce qu’il soit qualifié de reconstruction à l’identique au sens des dispositions du code de l’urbanisme. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que les différences notables entre le bâtiment détruit et le projet de reconstruction ne permettent pas de le regarder comme une reconstruction à l’identique.

L’arrêt applique avec rigueur la notion de reconstruction à l’identique, limitant ainsi le champ d’application de cette exception aux règles d’urbanisme (I), ce qui confirme la prévalence des objectifs de maîtrise de l’occupation des sols, notamment en zone naturelle (II).

I. Une application rigoureuse de la notion de reconstruction à l’identique

La cour administrative d’appel retient une interprétation stricte des textes en vigueur, en se fondant sur une comparaison factuelle précise des caractéristiques des bâtiments (A), ce qui la conduit à écarter les arguments du requérant relatifs à l’amélioration qualitative du nouveau bâti (B).

A. Une définition subordonnée à l’identité matérielle et architecturale

La cour fonde son raisonnement sur les dispositions de l’article L. 111-15 du code de l’urbanisme et sur celles, plus spécifiques, du plan local d’urbanisme intercommunal applicable. Ces textes autorisent, sous conditions, la reconstruction d’un bâtiment détruit nonobstant les règles d’urbanisme normalement applicables. Pour en bénéficier, le projet doit cependant constituer une reconstruction « à l’identique ». Or, le juge administratif exerce un contrôle méticuleux sur cette condition, qui ne se limite pas à la seule emprise au sol ou à la superficie.

Dans la présente affaire, les juges du fond constatent que si certains éléments dimensionnels sont effectivement similaires, « l’aspect architectural des deux bâtis ainsi que les matériaux utilisés diffèrent totalement ». Pour parvenir à cette conclusion, la cour se livre à une analyse concrète des pièces du dossier, relevant que le bâtiment sinistré « était un local majoritairement composé de tôles, recouvert d’une toiture plate, clos pour partie », tandis que le projet consiste en un édifice de type hangar, ouvert, avec une « maçonnerie en moellons et chaînes d’angle en pierre » et une « toiture à deux pentes en tuiles romanes ». Cette approche purement matérielle et visuelle démontre que l’identité requise par la loi doit être comprise de manière quasi absolue, excluant toute transformation d’envergure.

B. L’indifférence aux justifications techniques et esthétiques

Face à ces différences objectives, le requérant avançait que les modifications apportées étaient justifiées par « la nécessité d’assurer la solidité du bâtiment ». Cet argument, d’ordre technique, visait à légitimer l’emploi de matériaux plus nobles et plus résistants que la tôle d’origine. De surcroît, les nouveaux matériaux, tels que la pierre et le bois, assuraient une meilleure insertion paysagère du projet, argument implicite au vu de la description flatteuse du nouveau bâti.

Néanmoins, la cour écarte cette justification sans même en discuter le bien-fondé. En jugeant que c’est « à juste titre que les premiers juges ont considéré que le projet ne constituait pas une reconstruction à l’identique », elle signifie que l’intention du pétitionnaire, fût-elle louable en termes de durabilité ou d’esthétique, est inopérante. Le régime dérogatoire de l’article L. 111-15 n’a pas pour objet de permettre une amélioration du bâti existant, mais seulement la restauration de son état antérieur. Le juge administratif refuse ainsi de transformer une faculté de reconstruction en un droit à la reconstruction améliorée, maintenant une frontière nette entre la réparation d’un sinistre et une opération de construction nouvelle.

II. La confirmation de la primauté des règles d’urbanisme

Cette solution, si elle peut paraître sévère pour le propriétaire, réaffirme avec force la portée limitée du droit à reconstruction (A) et garantit par là même l’autorité des documents et des politiques d’urbanisme (B).

A. La portée limitée du droit à la reconstruction après sinistre

En adoptant une telle lecture de la notion d’identité, la cour administrative d’appel rappelle que le droit de reconstruire après sinistre constitue une exception stricte au principe de conformité des constructions aux règles d’urbanisme en vigueur. Le législateur a entendu permettre au propriétaire d’un bâtiment régulièrement édifié de recouvrer son bien, mais non de lui octroyer une opportunité de contourner les règles applicables sur le territoire de la commune.

Cette logique est d’autant plus forte en l’espèce que la cour prend soin de souligner que « la régularité [du bâti] n’est au demeurant pas établie ». Cette remarque incidente, bien que non centrale dans le raisonnement, éclaire la portée de la décision. Autoriser une reconstruction substantiellement différente d’un bâtiment dont l’existence légale est incertaine reviendrait à créer une forme de régularisation par le sinistre, ce que le juge se refuse à faire. La solution protège ainsi la cohérence du droit positif en évitant que la survenance d’un dommage matériel ne devienne un fait générateur de droits nouveaux en matière d’urbanisme.

B. La garantie de l’autorité des politiques d’aménagement

En définitive, la décision garantit l’effectivité des choix d’aménagement opérés par les collectivités territoriales à travers leurs documents de planification. Le terrain d’assiette du projet est situé en zone N, une zone naturelle où le principe est, par nature, l’inconstructibilité. Le règlement du plan local d’urbanisme intercommunal n’autorise en ce secteur que de rares exceptions, dont la reconstruction à l’identique.

En refusant d’étendre cette exception à un projet qui modifie l’architecture, les matériaux et potentiellement la destination du bâti initial, qualifié de « lieu de détente et d’agapes », le juge préserve l’équilibre du document d’urbanisme. Il conforte le pouvoir de l’autorité administrative de s’opposer à toute construction nouvelle qui ne respecterait pas les règles protectrices de la zone. Cette jurisprudence confirme ainsi que la dérogation offerte par l’article L. 111-15 du code de l’urbanisme ne saurait être interprétée d’une manière qui viderait de leur substance les objectifs de protection et de maîtrise de l’urbanisation poursuivis par le planificateur local.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture