Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 1 juillet 2025, n°23BX00707

Un litige a été porté devant la cour administrative d’appel concernant la légalité d’un plan local d’urbanisme intercommunal. Par une délibération du 19 décembre 2019, la communauté d’agglomération de Pau Béarn Pyrénées a approuvé ce document, entraînant notamment le classement d’une parcelle appartenant à des particuliers en zone agricole non constructible. Ces derniers avaient initialement saisi le tribunal administratif de Pau pour obtenir l’annulation de cette délibération, mais leur demande fut rejetée par un jugement du 30 décembre 2022. Les requérants ont alors interjeté appel de cette décision. Ils soulevaient de nombreux moyens de légalité externe, tenant à des vices de procédure, tels que le défaut de notification de la délibération prescrivant l’élaboration du plan, l’information insuffisante des conseillers communautaires, des irrégularités dans la concertation publique et la participation de conseillers intéressés. Ils invoquaient également des moyens de légalité interne, arguant de l’incompatibilité du plan avec le schéma de cohérence territoriale, de l’insuffisance du rapport de présentation, de l’incohérence du règlement avec le projet d’aménagement et de développement durables et, enfin, d’une erreur manifeste d’appréciation concernant le classement de leur parcelle. Le juge d’appel devait donc déterminer si la délibération approuvant le plan local d’urbanisme intercommunal était entachée d’une illégalité, en raison des multiples vices de procédure et de fond soulevés, justifiant son annulation partielle ou totale. Par son arrêt, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle écarte un à un l’ensemble des moyens présentés, considérant que les vices de procédure allégués étaient soit infondés, soit sans influence sur le sens de la décision, et que les critiques de fond ne démontraient aucune incohérence ou erreur manifeste d’appréciation de la part de l’autorité de planification.

L’arrêt confirme ainsi la validité de la procédure d’élaboration du document d’urbanisme malgré la complexité du contexte juridique et factuel (I), tout en réaffirmant le large pouvoir d’appréciation dont disposent les auteurs d’un plan pour définir les partis d’aménagement (II).

***

I. La validation d’une procédure d’élaboration complexe malgré des irrégularités soulevées

La cour administrative d’appel examine avec méthode les différents griefs procéduraux formulés par les requérants. Elle écarte d’abord les moyens relatifs aux vices de procédure qui manquaient en fait (A), avant de neutraliser une irrégularité avérée en s’appuyant sur l’absence d’influence de celle-ci sur la décision finale (B).

A. Le rejet des vices de procédure formelle et de participation

Les requérants contestaient la régularité de la procédure d’adoption en invoquant plusieurs manquements. Ils mettaient en doute la notification de la délibération de prescription aux personnes publiques associées, l’information des conseillers communautaires, ainsi que la participation de conseillers intéressés aux travaux préparatoires. Sur chacun de ces points, le juge d’appel adopte une position pragmatique, fondée sur l’analyse des pièces du dossier et sur une appréciation concrète de l’influence des conseillers.

Concernant la notification, la cour relève que la communauté d’agglomération a produit des courriers démontrant l’accomplissement de cette formalité. Plus encore, elle ajoute qu’en tout état de cause, les personnes publiques associées ont bien été consultées, privant ainsi le moyen de toute portée effective. S’agissant de l’information des élus, le juge considère que le projet de délibération, suffisamment détaillé, pouvait tenir lieu de note de synthèse et que rien n’indiquait qu’une demande d’information complémentaire aurait été refusée. Enfin, la question de la participation de conseillers intéressés est traitée avec une rigueur particulière. La cour rappelle que, pour un acte de portée générale comme un plan local d’urbanisme, l’illégalité n’est constituée que si « il ressort des pièces du dossier que, du fait de l’influence que ce conseiller a exercée, la délibération prend en compte son intérêt personnel ». Or, en l’espèce, le juge constate que les élus municipaux mis en cause n’étaient pas membres de l’organe délibérant communautaire et que leur participation à des commissions préparatoires locales ne suffisait pas à caractériser une influence déterminante sur la décision finale.

B. La neutralisation d’une irrégularité avérée au nom du principe de l’absence d’influence

Le moyen le plus sérieux sur le plan procédural concernait les modalités de la concertation. À la suite d’une fusion d’établissements publics, la nouvelle communauté d’agglomération aurait dû reprendre les modalités de concertation définies antérieurement par les anciennes entités. La cour constate effectivement une irrégularité : la collectivité a omis de maintenir une modalité qui prévoyait une réunion publique spécifique. L’arrêt reconnaît donc explicitement que la délibération prescrivant l’élaboration du plan « a méconnu les dispositions de l’article L. 153-9 du code de l’urbanisme ».

Toutefois, le juge applique la jurisprudence bien établie en matière de vice de procédure. Il estime que cette irrégularité « n’a toutefois pas eu d’influence sur le sens de la délibération approuvant le plan local d’urbanisme et n’a pas privé le public d’une garantie ». La cour observe que les autres modalités mises en œuvre ont permis d’assurer une information suffisante du public et de recueillir ses observations. Cet aspect de la décision illustre parfaitement la volonté du juge administratif de ne pas sanctionner les vices purement formels qui n’ont pas d’incidence concrète sur les garanties des administrés ou sur le contenu de l’acte. Il s’agit d’une application directe du principe selon lequel l’annulation n’est encourue que si le vice a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision ou a privé les intéressés d’une garantie.

II. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’autorité de planification

Au-delà des aspects procéduraux, la cour examine la légalité interne du plan local d’urbanisme. Elle effectue un contrôle de la cohérence globale du document (A) avant de se prononcer sur le moyen central pour les requérants, à savoir l’erreur manifeste d’appréciation relative au classement de leur terrain (B).

A. Le contrôle de la cohérence globale du document d’urbanisme

Les requérants soutenaient que le plan était incompatible avec le schéma de cohérence territoriale, et que son règlement était incohérent avec le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) ainsi qu’avec le rapport de présentation. Pour répondre à ces arguments, la cour rappelle sa méthode de contrôle. S’agissant du rapport de compatibilité avec le schéma de cohérence territoriale, le juge précise qu’il lui « appartient de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire […] si le plan ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma ». L’analyse n’est donc pas une vérification de la conformité de chaque disposition, mais une appréciation d’ensemble.

Le juge constate que le plan intègre bien les orientations du schéma, notamment en matière de protection des corridors écologiques et de maîtrise de l’urbanisation, par la création de zones tampons et le classement de vastes espaces en zones naturelle et agricole. De même, concernant la cohérence interne entre le règlement et le PADD, la cour réitère que l’analyse doit être globale et que « l’inadéquation d’une disposition du règlement du PLU à une orientation ou à un objectif du PADD ne suffit pas nécessairement […] à caractériser une incohérence ». Le juge admet que des discordances apparentes, comme celles relatives aux objectifs de densité de logements, ne suffisent pas à vicier le document dès lors que les grandes orientations du PADD, comme la limitation de l’étalement urbain, sont bien traduites dans les règles de constructibilité du règlement.

B. Le refus de sanctionner le déclassement d’une parcelle au titre de l’erreur manifeste d’appréciation

Le point le plus critique pour les requérants était le déclassement de leur parcelle de 18 000 m², auparavant constructible, en zone agricole. La cour encadre son analyse en rappelant qu’il appartient aux auteurs du plan de « déterminer le parti d’aménagement à retenir » et que leur appréciation ne peut être censurée qu’en cas « d’erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts ». Le contrôle du juge est donc restreint en la matière.

En l’espèce, le juge observe que la parcelle, bien que située en bordure de zones urbanisées, « ouvre sur un vaste secteur à vocation essentiellement agricole » et ne constitue pas une « dent creuse ». Son classement en zone A est jugé cohérent avec les objectifs généraux du plan, qui visent à renforcer l’urbanisation dans les centralités et à protéger les espaces agricoles, dans un objectif de réduction de la consommation foncière. Le fait que 1 300 hectares de parcelles constructibles aient été reclassés en zones naturelle ou agricole sur l’ensemble du territoire vient appuyer la cohérence de la démarche. En refusant de qualifier ce choix d’erreur manifeste, l’arrêt réaffirme avec force qu’il n’existe pas de droit acquis au maintien d’un classement constructible et que l’intérêt général poursuivi par un document d’urbanisme peut légitimement justifier la modification de l’affectation des sols, même au détriment des intérêts particuliers.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture