Par un arrêt du 4 octobre 1990, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur l’interprétation de la sixième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L’affaire concernait un particulier ayant acquis un terrain à bâtir, sur lequel il a immédiatement constitué un droit de superficie au profit d’une société pour une durée de dix-huit ans. Cette constitution de droit réel s’est faite en contrepartie d’une redevance annuelle. Le particulier a ensuite cherché à déduire la taxe sur la valeur ajoutée qui lui avait été facturée lors de l’achat du terrain.
L’administration fiscale nationale s’est opposée à cette déduction, procédant à un redressement fiscal au motif que le particulier n’avait pas agi en tant qu’entrepreneur. Saisie en dernière instance, la plus haute juridiction néerlandaise, le Hoge Raad der Nederlanden, a sursis à statuer. Elle a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si l’octroi d’un droit de superficie constitue une activité économique au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la sixième directive. La juridiction de renvoi demandait également si la faculté pour un État membre de considérer un tel droit réel comme un bien corporel au titre de l’article 5, paragraphe 3, de la même directive influençait cette qualification.
La Cour de justice a jugé que la concession d’un droit de superficie pour une période déterminée et contre rémunération est une activité économique. Elle précise que cette opération constitue « l’exploitation d’un bien corporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence ». La Cour ajoute que si un État membre a usé de la faculté de l’article 5, paragraphe 3, la constitution d’un tel droit est une livraison de bien, mais que cette option ne modifie en rien la qualification d’activité économique au regard de l’article 4.
I. L’ASSUJETTISSEMENT À LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE DE LA CONSTITUTION D’UN DROIT DE SUPERFICIE
A. La conception extensive de l’activité économique
La Cour de justice rappelle que la sixième directive assigne un champ d’application très large à la taxe sur la valeur ajoutée, dans le but d’englober tous les stades de l’activité économique. Elle s’appuie sur la dernière phrase de l’article 4, paragraphe 2, pour définir ce qui doit être entendu par activité économique. L’élément déterminant réside dans l’exploitation d’un bien, corporel ou incorporel, dans le but d’en tirer des profits de manière continue. Cette approche finaliste permet d’appréhender des situations variées.
La notion d’exploitation est interprétée de manière large et objective, conformément au principe de neutralité fiscale qui gouverne le système commun de taxe. La Cour affirme que le concept d’« exploitation » se réfère, « à toutes les opérations, quelle que soit leur forme juridique, qui visent à retirer du bien en question des recettes ayant un caractère de permanence ». Ainsi, la forme juridique de l’opération importe peu, seule compte l’intention de générer des revenus réguliers à partir du bien. Cette définition fonctionnelle de l’activité économique assure une application uniforme de la taxe.
B. L’inclusion de l’octroi du droit de superficie dans le champ de l’exploitation d’un bien
En appliquant ce principe général au cas d’espèce, la Cour examine si la constitution d’un droit de superficie remplit les conditions d’une exploitation durable. Le droit de superficie, en tant que droit réel permettant de posséder des constructions sur le fonds d’autrui, est un instrument de valorisation d’un bien immeuble. La Cour constate que le propriétaire, en octroyant ce droit à un tiers, effectue bien un acte d’exploitation de son terrain.
L’opération répond aux deux critères essentiels définis précédemment. D’une part, elle est réalisée moyennant une rémunération, en l’occurrence une redevance annuelle. D’autre part, elle est consentie pour une durée de dix-huit ans, ce qui lui confère le caractère de permanence requis par la directive. La Cour en déduit logiquement que « le fait pour le propriétaire d’un bien immeuble de concéder à un tiers un droit de superficie sur ce bien doit être regardé comme une exploitation du bien ». Cette solution confirme que la simple gestion patrimoniale active peut suffire à qualifier une personne d’assujetti.
II. L’INDÉPENDANCE DE LA QUALITÉ D’ASSUJETTI VIS-À-VIS DE LA QUALIFICATION DE L’OPÉRATION
A. La qualification de l’opération en tant que livraison de biens
La deuxième question préjudicielle portait sur les conséquences de l’option offerte aux États membres par l’article 5, paragraphe 3, de la directive. Cette disposition les autorise à considérer comme des biens corporels les droits réels conférant un pouvoir d’utilisation sur un immeuble. Le législateur néerlandais avait fait usage de cette faculté, assimilant la constitution d’un tel droit à une livraison de bien. La Cour devait donc clarifier le sens du terme « transfert » utilisé à l’article 5, paragraphe 1.
La Cour de justice adopte une interprétation cohérente avec l’objectif de l’option. Si un droit réel est assimilé à un bien corporel, sa constitution au profit d’un tiers équivaut au transfert du pouvoir d’en disposer. Par conséquent, la notion de transfert « doit être interprétée en ce sens qu’elle comporte également la constitution d’un tel droit réel ». Cette précision permet d’assurer l’effectivité de l’option laissée aux États membres et d’harmoniser le traitement fiscal de ces opérations spécifiques au sein des ordres juridiques nationaux qui les prévoient.
B. L’autonomie de la notion d’assujetti
La Cour répond enfin à la troisième question en affirmant l’indépendance totale entre la qualification d’activité économique et le régime de l’opération. La qualité d’assujetti ne dépend que des critères de l’article 4 de la directive. Le fait qu’un État membre qualifie la constitution d’un droit réel de livraison de bien, en vertu de l’article 5, est sans incidence sur l’analyse de l’existence d’une activité économique. La Cour vise à garantir une application uniforme de la notion d’assujetti dans toute l’Union.
Elle énonce clairement que la qualité d’assujetti « doit être appréciée exclusivement sur la base des critères énoncés à l’article 4 de la sixième directive ». Cette autonomie est fondamentale pour préserver la structure du système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Elle empêche que les options laissées aux États membres pour la qualification des opérations ne viennent restreindre ou modifier le champ des personnes redevables de la taxe. La réponse à la première question ne varie donc pas en fonction de la réponse à la deuxième, consacrant une hiérarchie claire entre la définition de l’assujetti et celle de l’opération imposable.