L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, sur renvoi préjudiciel d’une juridiction du Royaume-Uni, offre une clarification substantielle de la portée de la directive 85/337/CEE relative à l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement. En l’espèce, une autorisation d’exploiter une carrière, accordée en 1947, était restée longtemps inactive. Les propriétaires de la carrière, souhaitant reprendre l’activité sur un site reconnu pour sa sensibilité environnementale, ont engagé une procédure nationale visant à faire déterminer de nouvelles conditions d’exploitation, conformément à une loi de 1991. Une résidente, installée à proximité durant la période d’inactivité de la carrière, a constaté que cette procédure avait été menée à son terme sans qu’aucune évaluation des incidences sur l’environnement n’ait été réalisée.
Saisie par la résidente après le refus de l’autorité administrative de réexaminer la situation, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur plusieurs points. La procédure a mis en évidence l’opposition entre la position de l’autorité nationale, pour qui la détermination de nouvelles conditions ne constituait qu’un aménagement d’une autorisation préexistante et non une nouvelle autorisation soumise à la directive, et celle de la requérante, qui soutenait le contraire. Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si la décision approuvant de nouvelles conditions pour une ancienne autorisation d’exploitation minière devait être qualifiée d’« autorisation » au sens de la directive, déclenchant ainsi l’obligation de procéder à une évaluation environnementale. La question se posait également de savoir si un particulier pouvait se prévaloir de cette obligation à l’encontre de l’État membre et quelles étaient les conséquences d’un manquement à cette obligation. La Cour a jugé que des décisions nationales permettant la reprise d’une exploitation minière, en en modifiant substantiellement les conditions, constituent dans leur ensemble une nouvelle autorisation au sens de la directive. Elle a de plus affirmé qu’un particulier peut invoquer directement les dispositions de la directive et que l’État est tenu de remédier à l’omission d’une évaluation, notamment en suspendant ou en retirant l’autorisation accordée.
L’analyse de cette décision révèle ainsi une interprétation extensive de la notion d’autorisation soumise à évaluation environnementale (I), qui s’accompagne d’une garantie renforcée de l’effectivité des droits que les particuliers tirent du droit communautaire de l’environnement (II).
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I. L’interprétation extensive de la notion d’autorisation soumise à évaluation environnementale
La Cour de justice adopte une approche finaliste de la directive, en se détachant d’une lecture formaliste du droit national pour requalifier en substance l’acte autorisant le projet (A), tout en précisant les modalités temporelles de l’évaluation requise dans le cadre de procédures complexes (B).
A. La requalification d’une modification substantielle en nouvelle autorisation
La juridiction européenne écarte l’argumentation du gouvernement britannique selon laquelle la procédure ne visait qu’à actualiser les conditions d’une autorisation ancienne, délivrée bien avant l’entrée en vigueur de la directive. Pour l’État membre, le droit d’exploiter préexistait et n’était pas nouvellement créé. La Cour retient au contraire une vision matérielle et fonctionnelle de l’autorisation. Elle constate que sans l’intervention des décisions fixant de nouvelles conditions, l’autorisation initiale serait devenue caduque et l’exploitation n’aurait pu reprendre. Par conséquent, ces nouvelles décisions ne se contentent pas d’aménager un droit existant mais sont indispensables à sa survie et à son exercice.
La Cour considère qu’il serait « contraire à l’effet utile de cette directive de considérer comme une simple modification d’une ‘autorisation’ existante la prise de décisions qui, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, remplacent non seulement les termes, mais la substance même d’une autorisation antérieure ». En agissant de la sorte, elle privilégie la substance sur la forme, assurant que des projets ayant des incidences notables sur l’environnement ne puissent échapper à l’évaluation du fait d’un artifice procédural ou d’une qualification juridique interne. Cette solution consacre une définition autonome de l’« autorisation » en droit communautaire, imperméable aux qualifications nationales qui pourraient en paralyser l’application.
B. La détermination du moment de l’évaluation dans une procédure à plusieurs étapes
Au-delà de la qualification de l’acte, la Cour précise le moment auquel l’évaluation environnementale doit intervenir. Elle rappelle que, selon l’article 2 de la directive, cette évaluation doit être effectuée « avant l’octroi de l’autorisation ». Se référant également aux considérants de la directive, elle souligne que les incidences d’un projet doivent être prises en compte « le plus tôt possible » dans le processus décisionnel. Cette exigence de précocité est cruciale pour garantir que l’évaluation influe réellement sur la décision et ne constitue pas une simple formalité a posteriori.
Dans le cas d’une procédure se déroulant en plusieurs étapes, comme en l’espèce, la Cour établit un principe directeur clair. L’évaluation doit avoir lieu « aussitôt qu’il est possible d’identifier et d’évaluer tous les effets que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement ». En principe, cette évaluation doit être conduite lors de la procédure relative à la décision principale, qui fixe le cadre du projet. Ce n’est que si certains effets ne peuvent être identifiés qu’au stade d’une décision d’exécution ultérieure que l’évaluation pourra être effectuée à ce moment. Cette clarification pragmatique vise à concilier la complexité des procédures administratives nationales avec l’exigence d’une évaluation complète et opportune.
II. La garantie de l’effectivité des droits des particuliers en matière environnementale
Après avoir défini le champ de l’obligation d’évaluation, la Cour en assure la pleine portée en confirmant la possibilité pour les particuliers de l’invoquer en justice (A) et en contraignant les autorités nationales à prendre des mesures concrètes pour remédier aux violations constatées (B).
A. La confirmation de l’effet direct vertical de la directive
Le gouvernement britannique soutenait que permettre à un particulier d’invoquer la directive pour contester l’autorisation d’un autre particulier reviendrait à admettre un « effet direct inverse », situation dans laquelle un État se verrait obligé de priver un particulier de ses droits à la demande d’un autre. La Cour rejette fermement cette analyse. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une directive ne peut par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier. Toutefois, elle distingue cette situation de celle où l’invocation d’une directive contre un État membre entraîne de simples « répercussions négatives » sur les droits d’un tiers.
En l’espèce, l’obligation de réaliser une évaluation environnementale pèse sur l’État membre, et non sur les propriétaires de la carrière. Le fait que l’annulation ou la suspension de l’autorisation pour se conformer à cette obligation affecte les intérêts de l’exploitant ne constitue pas un obstacle à l’invocabilité de la directive par un autre particulier. La Cour confirme ainsi que l’effet direct vertical des directives, qui permet à un justiciable de se prévaloir de leurs dispositions claires, précises et inconditionnelles à l’encontre d’un État membre défaillant, n’est pas paralysé par les conséquences indirectes que cette invocation peut avoir sur des tiers. Cette solution est fondamentale pour la protection des droits individuels tirés du droit de l’Union.
B. L’obligation de réparation des conséquences de la violation
Enfin, la Cour se prononce sur les suites à donner à l’omission de l’évaluation environnementale. Se fondant sur le principe de coopération loyale inscrit à l’article 10 du traité CE, elle affirme que les États membres sont « tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit communautaire ». Cette obligation incombe à tous les organes de l’État, y compris les autorités administratives compétentes. Celles-ci doivent donc prendre « toutes les mesures générales ou particulières » pour remédier à la défaillance.
De manière très concrète, la Cour indique que ces mesures peuvent inclure « le retrait ou la suspension d’une autorisation déjà accordée afin d’effectuer une évaluation des incidences du projet ». Elle laisse cependant au juge national le soin de déterminer, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, les modalités exactes de cette réparation, sous la double réserve des principes d’équivalence et d’effectivité. La Cour envisage même, comme alternative, la possibilité pour le particulier de réclamer une réparation du préjudice subi, si le droit interne le permet et si l’intéressé y consent. En imposant une obligation de résultat claire tout en respectant les cadres procéduraux nationaux, la Cour assure la sanction effective de la violation, conférant ainsi une portée pratique et tangible aux droits garantis par la directive.