9ème chambre du Conseil d’État, le 11 mars 2025, n°492334

Par une décision en date du 11 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités de calcul de la plus-value imposable lors de la cession d’une partie d’un bien immobilier acquis pour un prix global. Cette décision vient préciser la notion de « prix d’acquisition stipulé dans l’acte » et la méthode à retenir en son absence.

En l’espèce, une contribuable avait acquis en indivision, en 2004, un ensemble immobilier pour un prix global. Dans cet acte d’acquisition figurait une ventilation de ce prix, effectuée unilatéralement par les vendeurs pour les besoins de leur propre imposition. En 2014, après division parcellaire et construction, la contribuable a cédé une partie de ce bien. Pour déterminer la plus-value, elle a calculé le prix d’acquisition de la fraction vendue en se fondant sur sa valeur vénale à la date de l’achat, estimée selon son potentiel de constructibilité. L’administration fiscale a contesté cette méthode, retenant pour sa part la valeur issue de la ventilation opérée par les vendeurs dans l’acte de 2004, ce qui aboutissait à une plus-value et donc à une imposition plus élevées.

Saisi d’une demande en décharge de ces impositions supplémentaires, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la requête de la contribuable. Par un arrêt du 28 décembre 2023, la cour administrative d’appel de Lyon a confirmé ce jugement, considérant que la ventilation du prix mentionnée dans l’acte d’acquisition de 2004 constituait bien le prix d’acquisition stipulé pour la fraction de bien concernée. La contribuable a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

Le problème de droit soumis à la Haute Juridiction administrative était de savoir si une déclaration de valeur unilatérale, effectuée par les vendeurs initiaux dans un acte d’acquisition pour les seuls besoins de leur propre fiscalité, pouvait être regardée comme le « prix d’acquisition stipulé » pour une fraction du bien au sens de l’article 150 VB du code général des impôts.

À cette question, le Conseil d’État répond par la négative. Il juge que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en considérant qu’une telle mention unilatérale valait prix stipulé. Il en conclut qu’en l’absence de prix convenu entre les parties pour cette fraction, les juges du fond auraient dû rechercher la valeur vénale réelle du bien à la date de son entrée dans le patrimoine de la cédante. Par conséquent, il annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon et lui renvoie l’affaire.

La solution retenue par le Conseil d’État clarifie la méthode de détermination du prix d’acquisition en cas de cession partielle d’un bien (I), consacrant ainsi une approche orthodoxe qui renforce la sécurité juridique du contribuable (II).

***

I. La clarification de la méthode de détermination du prix d’acquisition

Le Conseil d’État opère une distinction nette entre le prix stipulé, qui doit résulter d’un accord de volontés (A), et la valeur vénale, qui s’impose comme méthode d’évaluation subsidiaire en l’absence d’un tel accord (B).

A. L’interprétation stricte de la notion de prix stipulé

La Haute Juridiction rappelle implicitement que le prix, pour être qualifié de « stipulé », doit avoir fait l’objet d’un accord entre l’acquéreur et le vendeur lors de la mutation. En l’espèce, la ventilation du prix global dans l’acte de 2004 n’émanait que des cédants, et ce pour la liquidation de leur propre impôt. Cette déclaration ne liait donc pas l’acquéreur, qui n’y avait pas consenti en tant que modalité de fixation du prix de chaque composante de l’ensemble immobilier.

Le Conseil d’État censure ainsi la position des juges du fond qui avaient conféré une portée contractuelle à une simple déclaration fiscale unilatérale. En jugeant que la cour a commis une erreur de droit en considérant que « le prix mentionné par les seuls cédants issu de la ventilation unilatérale du prix stipulé dans cet acte pour l’ensemble des parcelles cédées (…) devait être regardé comme le prix d’acquisition stipulé dans l’acte », le Conseil d’État réaffirme que la stipulation est un acte bilatéral. Un prix ne peut être imposé à une partie qui ne l’a pas négocié et accepté en cette qualité.

B. Le recours subsidiaire et nécessaire à la valeur vénale

Dès lors que la notion de prix stipulé est écartée, le Conseil d’État applique la conséquence prévue par le I de l’article 150 VB du code général des impôts. Selon ce texte, « à défaut (…) de prix stipulé dans l’acte (…), le prix d’acquisition s’entend de la valeur vénale réelle à la date d’entrée dans le patrimoine du cédant ». Cette disposition établit une hiérarchie claire des méthodes de valorisation.

En s’abstenant de rechercher cette valeur vénale réelle, la cour administrative d’appel a méconnu le champ d’application de la loi. La décision commentée impose donc au juge du fond, en l’absence de prix spécifiquement convenu pour une partie de bien, de procéder à une évaluation économique objective. Il ne peut se contenter d’une valeur mentionnée à d’autres fins dans l’acte. Cette recherche de la valeur vénale constitue la méthode de droit commun lorsque la volonté des parties n’a pas permis d’isoler le prix d’un élément cédé séparément.

II. La consécration d’une solution protectrice de la réalité économique

Cette décision a une valeur notable en ce qu’elle garantit une application du droit fiscal conforme aux principes du droit des contrats (A), tout en précisant la charge de la preuve et les modalités de calcul pour de futures opérations similaires (B).

A. Une solution conforme à la logique contractuelle et fiscale

En refusant de faire produire des effets à une déclaration unilatérale à l’encontre d’un tiers, le Conseil d’État applique une logique civiliste fondamentale. Le prix est un élément essentiel du contrat de vente qui requiert le consentement des deux parties. L’administration ne pouvait donc pas opposer à l’acquéreur une ventilation à laquelle il était resté étranger et qui ne reflétait pas la commune intention des contractants de 2004 quant à la valeur de chaque parcelle.

Sur le plan fiscal, cette solution est également cohérente. L’impôt sur la plus-value a pour objet de taxer un enrichissement réel, constaté par la différence entre un prix de cession et un prix d’acquisition. En imposant de rechercher la valeur vénale, c’est-à-dire le prix qu’un acquéreur aurait objectivement payé pour ce bien spécifique en 2004, le Conseil d’État assure que l’assiette de l’impôt correspond à la réalité économique de l’opération et non à une fiction juridique issue d’une déclaration de convenance.

B. La portée pratique pour la sécurité juridique du contribuable

La portée de cet arrêt est importante. Il clarifie la situation des contribuables ayant acquis des ensembles immobiliers hétérogènes pour un prix global. Ils savent désormais que, pour une revente partielle, en l’absence de ventilation contradictoire dans l’acte d’origine, le prix d’acquisition sera déterminé sur la base d’une expertise de la valeur vénale. Le contribuable peut donc légitimement faire évaluer cette valeur par des méthodes objectives, comme celle fondée sur le potentiel de constructibilité, sous le contrôle du juge.

Cette décision renforce la prévisibilité du calcul de l’impôt et protège le contribuable contre une utilisation extensive par l’administration de mentions purement déclaratives contenues dans les actes notariés. Elle rappelle que la partie normalisée d’un acte de vente, destinée à l’information de l’administration, ne peut prévaloir sur les principes de fond qui gouvernent la détermination de la plus-value imposable. L’affaire, renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon, devra donc être jugée en procédant à cette recherche de la valeur vénale réelle.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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