9ème – 10ème chambres réunies du Conseil d’État, le 22 juillet 2025, n°494230

Par un arrêt en date du 22 juillet 2025, le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles un assujetti ayant indûment facturé la taxe sur la valeur ajoutée peut obtenir la régularisation de sa situation. En l’espèce, une société exerçant une activité de location de locaux nus à usage professionnel a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre de laquelle l’administration fiscale lui a réclamé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Il était reproché à cette société d’avoir collecté la taxe auprès de ses locataires sans l’avoir reversée au Trésor public. Saisis d’un recours en décharge, le tribunal administratif de Strasbourg par des jugements des 30 novembre 2021 et 20 avril 2022, puis la cour administrative d’appel de Nancy par un arrêt du 14 mars 2024, ont rejeté les prétentions de la société. Cette dernière soutenait avoir procédé à la régularisation de sa situation en adressant à ses clients des factures rectificatives et des avoirs, et arguait de sa bonne foi. La cour administrative d’appel a cependant jugé que ces démarches ne suffisaient pas à éliminer le risque de perte de recettes fiscales pour le Trésor, les locataires ayant déduit la taxe initialement facturée. Elle a par ailleurs estimé que l’assujettie ne pouvait utilement se prévaloir de sa bonne foi. Il appartenait donc au Conseil d’État de déterminer si la bonne foi d’un assujetti peut lui permettre d’obtenir la régularisation de la taxe indûment facturée, alors même que le risque de perte de recettes fiscales pour l’État n’est pas complètement écarté. La Haute Juridiction répond par l’affirmative, cassant la décision des juges du fond pour erreur de droit. Elle juge en effet que si la neutralisation totale du risque fiscal demeure la voie principale de régularisation, l’absence d’une telle neutralisation n’interdit pas à l’assujetti de bonne foi de solliciter une régularisation, dès lors qu’il a procédé à la correction des factures erronées.

Cette solution conduit à préciser l’articulation des conditions de régularisation de la taxe indûment facturée en fonction du risque de perte de recettes fiscales (I), avant de réaffirmer la place centrale de la bonne foi de l’émetteur de la facture dans ce processus (II).

I. La consécration d’un régime de régularisation dualiste fondé sur le risque de perte de recettes fiscales

Le Conseil d’État rappelle la règle posée par l’article 283 du code général des impôts selon laquelle toute personne mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture en est redevable. Il structure ensuite les modalités de régularisation autour de l’existence ou non d’un risque fiscal. La régularisation est ainsi de droit lorsque tout risque de perte de recettes est écarté (A), mais demeure simplement conditionnelle dans le cas contraire (B).

A. La régularisation de droit en cas d’élimination totale du risque fiscal

La décision commentée expose avec clarté la situation la plus favorable à l’assujetti, celle où la régularisation de la taxe indûment facturée lui est acquise sans condition. Le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée impose en effet qu’une taxe perçue par erreur puisse être restituée. Cette restitution devient un droit pour l’émetteur de la facture dès lors qu’il est établi que le Trésor public ne subira aucune perte. Le Conseil d’État énonce à ce titre que « lorsque le risque de perte de recettes fiscales est inexistant ou qu’il a été, en temps utile, complètement éliminé, notamment lorsque l’administration fiscale a, de manière définitive, refusé au destinataire d’une facture mentionnant indûment la taxe sur la valeur ajoutée le droit de la déduire, l’émetteur de la facture est en principe en droit d’obtenir la régularisation de cette taxe ». Dans une telle hypothèse, la régularisation ne peut être subordonnée « à la rectification préalable de la facture ni à la bonne foi de l’émetteur ». Cette position, conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, établit donc une voie de régularisation automatique, mais dont les conditions factuelles sont particulièrement strictes et difficiles à réunir pour le contribuable.

B. La régularisation conditionnelle en présence d’un risque fiscal résiduel

La plupart des situations ne correspondent pas à l’hypothèse d’une absence totale de risque. C’est le cas lorsque le destinataire de la facture erronée a effectivement déduit la taxe mentionnée et que l’administration n’a pas encore remis en cause cette déduction. Le risque de perte de recettes est alors présent, puisque la taxe n’a pas été collectée par l’État mais a été déduite par le client. Dans ce contexte, la régularisation n’est plus un droit, mais une simple faculté soumise à conditions. La Haute Juridiction valide sur ce point l’analyse de la cour administrative d’appel, considérant qu’elle n’a pas commis d’erreur en jugeant que la seule émission de factures rectificatives et d’avoirs « ne suffisait pas pour regarder le risque de perte de recettes fiscales comme complètement éliminé en l’espèce ». Le droit à régularisation se heurte à la persistance du risque. C’est précisément dans cette situation que la régularisation est subordonnée, selon les juges, à deux conditions cumulatives que sont l’envoi de factures rectificatives au client et la bonne foi de l’émetteur, ouvrant ainsi une seconde voie de régularisation.

II. La portée réaffirmée de la bonne foi de l’émetteur comme condition de la régularisation

Alors que la cour administrative d’appel avait écarté cet argument, le Conseil d’État censure sa décision en soulignant l’erreur de droit commise (A). Ce faisant, il confère à l’appréciation de la bonne foi une portée déterminante pour l’issue du litige (B).

A. La censure de l’interprétation restrictive des juges du fond

L’apport principal de l’arrêt réside dans la censure infligée aux juges d’appel. Ces derniers avaient considéré que la société ne pouvait « utilement invoquer sa bonne foi » pour obtenir la décharge des impositions. Le Conseil d’État juge au contraire qu’ « en jugeant que la société Eurapack France ne pouvait utilement invoquer sa bonne foi, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ». En effet, la bonne foi n’est pas un argument subsidiaire ou inopérant ; elle constitue l’une des deux conditions essentielles permettant la régularisation lorsque le risque de perte de recettes n’est pas totalement éliminé. En écartant par principe l’examen de cette condition, la cour a privé sa décision de base légale. Elle ne pouvait à la fois constater que le risque n’était pas éliminé et refuser d’examiner si les conditions alternatives de la régularisation, au premier rang desquelles la bonne foi, étaient remplies. Cette cassation a donc le mérite de clarifier la hiérarchie et l’articulation des conditions de régularisation.

B. Les implications pratiques de l’appréciation de la bonne foi

En renvoyant l’affaire devant la cour administrative d’appel de Nancy, la Haute Juridiction impose aux juges du fond de procéder à un examen concret de la bonne foi de l’assujetti. Cette notion s’appréciera au regard des circonstances de l’espèce, en recherchant si l’erreur commise dans la facturation procédait d’une simple négligence ou d’une intention frauduleuse. Les démarches actives de la société, telles que l’envoi de factures rectificatives et d’avoirs à ses clients, bien qu’insuffisantes pour éliminer le risque fiscal, pourraient ainsi être analysées comme des éléments matériels témoignant de sa volonté de corriger l’erreur commise. La décision commentée renforce donc la protection des contribuables qui, ayant commis une erreur non intentionnelle, cherchent activement à la réparer. Elle rappelle que le mécanisme de la taxe facturée à tort est une garantie pour le Trésor public et non un instrument de sanction disproportionnée à l’encontre d’un assujetti de bonne foi, conformément au principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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