Par une décision rendue le 10 février 2025, le Conseil d’État a ordonné qu’il soit sursis à l’exécution d’un arrêt de cour administrative d’appel ayant annulé la révision d’un plan local d’urbanisme. En l’espèce, une commune avait approuvé la révision de son document d’urbanisme par une délibération du 6 décembre 2017. Saisi par plusieurs associations et particuliers, le tribunal administratif de Versailles avait, par un jugement du 11 décembre 2020, annulé partiellement cette délibération. Sur appel, la cour administrative d’appel de Versailles, après avoir constaté une illégalité tenant à l’absence d’évaluation environnementale, avait d’abord, par un arrêt du 9 février 2023, sursis à statuer pour permettre à la commune de régulariser ce vice. La commune ayant procédé à cette régularisation par une nouvelle délibération du 26 mars 2024, la cour a néanmoins estimé la procédure de régularisation insuffisante et a, par un arrêt du 12 juillet 2024, annulé totalement les délibérations de 2017 et 2024. C’est dans ce contexte que la commune a formé un pourvoi en cassation, assorti d’une demande de sursis à exécution de l’arrêt d’appel. La question se posait de savoir si les conditions posées par l’article R. 821-5 du code de justice administrative pour l’octroi d’un tel sursis étaient réunies. Le Conseil d’État a répondu par l’affirmative, considérant que l’annulation de la révision du plan local d’urbanisme risquait d’entraîner des conséquences difficilement réparables et que les moyens soulevés par la commune paraissaient sérieux.
Cette décision illustre l’office du juge du référé-sursis, qui doit se livrer à une double appréciation, portant d’une part sur l’impact concret de l’exécution de la décision attaquée (I), et d’autre part sur les chances de succès du pourvoi au fond (II).
I. L’appréciation pragmatique des conséquences difficilement réparables
Le Conseil d’État justifie sa décision de suspendre l’arrêt d’appel en se fondant sur une analyse concrète des effets de l’annulation, retenant une conception extensive de la notion de conséquences difficilement réparables.
A. Le risque d’urbanisation irréversible comme critère déterminant
Le juge des référés relève que l’annulation du plan local d’urbanisme révisé a pour conséquence directe de remettre en vigueur le document d’urbanisme antérieur, adopté en 2013. Or, ce retour au droit antérieur n’est pas sans effet, puisque « plusieurs parcelles classées en zone naturelle dans le plan local d’urbanisme révisé approuvé le 6 décembre 2017 sont de nouveau classées en zone d’habitation et donc constructibles ». C’est bien ce risque de constructibilité nouvelle sur des terrains que la commune avait précisément cherché à protéger qui constitue le fondement de la première condition du sursis.
Le raisonnement de la haute juridiction met en lumière le caractère très concret de son appréciation. La difficulté de réparation ne découle pas d’un préjudice financier ou moral, mais d’un risque d’atteinte physique et pérenne à l’environnement. La délivrance de permis de construire sur la base du plan de 2013, rendue possible par l’exécution de l’arrêt d’appel, pourrait en effet conduire à une urbanisation de zones naturelles, situation par nature irréversible une fois les constructions achevées. Le Conseil d’État adopte ici une approche protectrice du territoire communal, considérant que la préservation de l’état naturel d’un site justifie la suspension d’une décision de justice.
B. La neutralisation paradoxale d’une décision à finalité environnementale
La situation présentait un caractère paradoxal, puisque l’annulation prononcée par la cour administrative d’appel se fondait elle-même sur l’insuffisance de la prise en compte des enjeux environnementaux lors de la procédure d’urbanisme. Pourtant, le Conseil d’État constate que l’exécution immédiate de cette annulation créerait un risque environnemental encore plus grand et, surtout, plus certain. Il opère ainsi une balance des intérêts en présence, privilégiant la prévention d’un dommage imminent et irréversible sur l’application immédiate d’une sanction, fût-elle juridiquement fondée.
Cette approche révèle la spécificité de l’office du juge du sursis à exécution. Son rôle n’est pas de se prononcer sur la légalité de l’acte administratif initial, mais bien de prévenir les effets les plus dommageables de la décision juridictionnelle elle-même, dans l’attente que le litige soit définitivement tranché au fond. En l’espèce, le remède apporté par la cour d’appel s’avérait potentiellement plus néfaste, à court terme, que le mal qu’il entendait guérir, justifiant une intervention modératrice de la part du juge de cassation.
II. L’examen précurseur des moyens sérieux d’annulation
Au-delà de l’analyse des conséquences pratiques, le Conseil d’État a également dû, pour ordonner le sursis, s’assurer que le pourvoi de la commune n’était pas dénué de chances de succès, ce qui l’a conduit à une première évaluation des erreurs de droit potentiellement commises par les juges du fond.
A. La critique d’un formalisme procédural jugé excessif
Le juge des référés identifie deux moyens qui « paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux ». Ces moyens portent sur des questions de pure procédure administrative relatives à la régularisation d’un plan local d’urbanisme. La commune soutenait que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit, d’une part « en jugeant que le conseil municipal aurait dû arrêter un nouveau projet de plan local d’urbanisme à la suite de l’ajout au dossier de présentation d’une évaluation environnementale », et d’autre part « en considérant que l’absence de nouvelle consultation des personnes publiques associées […] viciait la légalité de la délibération ».
En qualifiant ces deux arguments de « sérieux », le Conseil d’État envoie un signal fort. Il laisse entendre que l’interprétation retenue par la cour d’appel, qui impose des formalités lourdes dans le cadre d’une procédure de régularisation, pourrait être excessive au regard des textes applicables. La question sous-jacente est celle du degré de parallélisme des formes à respecter lorsque l’on ne fait que corriger un vice de procédure a posteriori, sans modifier la substance du projet initial.
B. Le sursis à exécution comme annonce d’une probable cassation
La reconnaissance du caractère sérieux des moyens a une portée qui dépasse la seule procédure de référé. Elle constitue une forme d’anticipation de la solution qui pourrait être retenue par la formation de jugement statuant au fond sur le pourvoi. Si la qualification de « sérieux » ne lie pas juridiquement les juges du fond, elle n’en demeure pas moins un indice précurseur de la probable censure de l’arrêt d’appel. Cette décision de sursis a donc pour portée de fragiliser considérablement l’analyse juridique des juges d’appel.
En l’espèce, le Conseil d’État semble s’orienter vers une approche plus souple des obligations procédurales en matière de régularisation des documents d’urbanisme. La future décision au fond sera donc particulièrement attendue par les collectivités locales, car elle pourrait clarifier et potentiellement alléger les démarches à suivre pour purger les illégalités affectant leurs plans locaux d’urbanisme, conciliant ainsi la sécurité juridique et l’efficacité de l’action administrative.