4ème chambre du Conseil d’État, le 30 juillet 2025, n°466014

Par une décision en date du 30 juillet 2025, le Conseil d’État a précisé l’étendue du pouvoir d’injonction du juge administratif à l’égard d’une commission administrative dont l’avis conditionne la délivrance d’une autorisation d’urbanisme.

En l’espèce, une société exploitant un hypermarché a sollicité un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale afin de procéder à un agrandissement de sa surface de vente. Saisi d’une demande d’avis sur ce projet, la commission départementale d’aménagement commercial a émis un avis favorable, mais la Commission nationale d’aménagement commercial, saisie d’un recours, a rendu un avis défavorable. Se fondant sur cet avis négatif, le maire de la commune d’implantation a refusé de délivrer le permis de construire sollicité. La société pétitionnaire a alors saisi la cour administrative d’appel de Nancy d’une demande d’annulation de cet arrêté. Par un arrêt en date du 25 mai 2022, la cour a annulé la décision de refus du maire et a, par la même occasion, enjoint à la Commission nationale d’aménagement commercial de rendre un avis favorable au projet dans un délai déterminé. La commission nationale a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, contestant spécifiquement l’injonction prononcée à son encontre.

Le Conseil d’État était donc saisi de la question de savoir si le juge administratif, après avoir censuré les motifs d’un avis défavorable émis par la Commission nationale d’aménagement commercial, pouvait lui ordonner de rendre un avis favorable au lieu d’un simple réexamen du dossier.

À cette question, la Haute Juridiction administrative répond par la négative, au motif que l’annulation de la décision de refus n’implique en principe qu’un réexamen du projet par la commission. Elle précise que la situation serait différente uniquement si les motifs de l’annulation retenus par le juge impliquaient nécessairement la délivrance d’un avis favorable. Or, en l’espèce, la censure ne portait que sur certains des motifs de l’avis initial, laissant subsister une marge d’appréciation pour la commission sur d’autres critères. Le Conseil d’État casse par conséquent l’arrêt de la cour administrative d’appel en ce qu’il a prononcé une injonction de délivrer un avis favorable, et, réglant l’affaire au fond, enjoint à la commission de procéder à un nouvel examen du projet.

La décision commentée vient ainsi opérer une distinction claire entre le pouvoir d’injonction de droit commun et son application exceptionnelle (I), réaffirmant par là même le respect de la marge d’appréciation reconnue à l’administration spécialisée (II).

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I. La distinction réaffirmée entre l’injonction de réexamen et l’injonction de décision

La présente décision offre une illustration pédagogique de l’articulation des pouvoirs d’injonction du juge administratif, en rappelant d’abord le principe général applicable en matière d’autorisation d’urbanisme commercial (A), avant de le confronter à la condition stricte d’une injonction de décision positive (B).

A. Le principe de l’injonction de réexamen après annulation

Le juge administratif, lorsqu’il annule une décision administrative, ne se contente plus de la faire disparaître de l’ordonnancement juridique ; il doit également en tirer les conséquences. Les dispositions des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative lui confèrent à cet effet un pouvoir d’injonction, lui permettant d’ordonner à l’administration de prendre une mesure d’exécution. L’article L. 911-2 prévoit le cas général où la décision du juge implique que l’administration prenne une nouvelle décision après une nouvelle instruction. Cette hypothèse correspond à la situation dans laquelle l’annulation, fondée sur une erreur de droit ou de fait, ne lie pas entièrement la compétence de l’autorité administrative, qui conserve une faculté d’appréciation pour statuer de nouveau sur la demande.

Dans le cas d’espèce, l’annulation du refus de permis de construire, qui était lui-même fondé sur l’avis défavorable de la commission nationale, avait pour conséquence de saisir à nouveau cette dernière. Le Conseil d’État rappelle que « l’annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale sur le fondement d’un avis défavorable rendu par la Commission nationale d’aménagement commercial n’implique, en principe, qu’un réexamen du projet par cette commission ». Cette solution est logique : l’annulation contentieuse replace les parties dans la situation où elles se trouvaient avant l’édiction de l’acte annulé, ce qui impose à l’autorité compétente de reprendre l’instruction du dossier. L’injonction de réexamen est donc la suite naturelle de l’annulation d’un avis ou d’une décision prise sur la base de cet avis, lorsque l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation.

B. L’exception d’une injonction de décision positive strictement conditionnée

À l’inverse du cas général, l’article L. 911-1 du code de justice administrative permet au juge d’enjoindre à l’administration de prendre une mesure d’exécution « dans un sens déterminé ». Cette prérogative, plus intrusive, est réservée aux hypothèses où l’administration n’a plus aucune marge de manœuvre. Soit qu’il n’existe qu’une seule solution légale possible, soit que le juge, par les motifs de son jugement, a entièrement balisé le chemin que l’administration doit emprunter. C’est la situation dite de compétence liée.

Le Conseil d’État sanctionne ici la cour administrative d’appel pour avoir eu une conception trop extensive de cette exception. Il relève que la censure des motifs de l’avis de la commission n’était que partielle, ne concernant que « certains des objectifs prévus à l’article L. 752-6 du code de commerce ». Dès lors, l’annulation ne liait pas l’appréciation de la commission sur les autres critères d’évaluation du projet. En d’autres termes, la commission conservait la possibilité légale, après avoir corrigé son appréciation sur les points censurés, de fonder un nouvel avis, éventuellement défavorable, sur d’autres motifs. En enjoignant la délivrance d’un avis favorable, la cour a donc commis une erreur de droit en se substituant à l’appréciation de la commission. La Haute Juridiction rappelle ainsi que seule une annulation privant l’administration de toute alternative justifie une injonction de prendre une décision dans un sens déterminé.

Cette application rigoureuse de la distinction entre les deux types d’injonction témoigne d’une volonté de préserver la sphère de compétence propre à l’administration, en particulier lorsque celle-ci exerce une expertise technique.

II. La préservation de la compétence d’appréciation de l’administration spécialisée

Au-delà de la technique des pouvoirs d’injonction, l’arrêt met en lumière la déférence du juge à l’égard de l’office des commissions d’aménagement commercial (A), tout en confirmant la portée pragmatique d’une annulation contentieuse pour le pétitionnaire (B).

A. Le respect de l’office du juge face à l’expertise de la commission

La Commission nationale d’aménagement commercial est une autorité administrative dont la mission est d’apprécier les projets d’implantation ou d’extension de surfaces commerciales au regard d’une pluralité de critères définis par le code de commerce. Ces critères couvrent l’aménagement du territoire, le développement durable ou encore la protection des consommateurs. L’appréciation de la commission relève d’une analyse complexe et technique, mêlant des considérations économiques, sociales et environnementales.

En censurant l’injonction prononcée par les juges du fond, le Conseil d’État réaffirme un principe fondamental de la séparation des pouvoirs administratifs et juridictionnels : le juge de l’excès de pouvoir contrôle la légalité, mais ne se substitue pas à l’administrateur dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Ordonner à la commission de rendre un avis favorable alors même qu’elle n’avait pas encore pu se prononcer sur l’ensemble des aspects du projet revenait à vider de sa substance la mission que le législateur lui a confiée. La solution retenue est donc une manifestation de la retenue du juge, qui se garde d’intervenir dans une appréciation technique pour laquelle il n’a ni la compétence ni la légitimité. Cette décision protège ainsi l’intégrité du rôle des commissions spécialisées dans le processus de décision administrative.

B. La portée effective de l’annulation pour le porteur de projet

Pour la société pétitionnaire, la décision peut apparaître comme une victoire en demi-teinte. Si l’annulation du refus initial est confirmée, elle n’obtient pas directement l’avis favorable qu’elle escomptait et doit de nouveau soumettre son projet à l’aléa d’un examen par la commission. Toutefois, la portée de la décision n’est pas négligeable. En réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État prend soin d’assortir son injonction de réexamen d’un délai précis de quatre mois. Cette précision garantit que la procédure ne s’enlisera pas et que le droit de la société à voir sa demande instruite dans un délai raisonnable sera respecté.

De plus, si la commission n’est pas tenue de rendre un avis favorable, elle est en revanche tenue de respecter l’autorité de la chose jugée. Cela signifie qu’elle ne pourra pas fonder un éventuel nouvel avis défavorable sur les motifs qui ont été censurés par la cour administrative d’appel. Son appréciation est donc désormais encadrée, et son futur avis devra être d’autant plus solidement motivé si elle entendait s’opposer de nouveau au projet. La décision commentée, tout en refusant un automatisme, replace le porteur de projet dans une situation procédurale assainie et contraint l’administration à un examen renouvelé et juridiquement plus exigeant de sa demande.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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